Devenir un Poème Vivant
Q : Comment vivez-vous le Taoïsme au quotidien de votre vie?
Eric Lemieux : C’est une excellente question. Je suis d’avis qu’on ne peut effectivement vivre le taoïsme qu’au quotidien. Je le vis comme une expérience, un apprentissage, un chemin à suivre. Je me considère comme un éternel étudiant débutant sur cette voie. Le taoïsme est une approche essentiellement pragmatique. Elle est basée sur un éventail très vaste de pratiques qui visent l’ouverture spirituelle. Ce n’est pas une religion mais bien une spiritualité dans le vrai sens du terme. Concrètement, pour moi, ça peut vouloir dire faire certains exercices physiques, pratiquer certaines méditations et respirations ainsi que certains massages sur des zones spécifiques du corps en rapport avec les méridiens, me nourrir en tenant compte de certains principes, etc.
Q : Comment considérez-vous les effets du taoïsme dans vos créations musicales, si son influence peut se percevoir ainsi ?
R : En fait, il m’est difficile de vraiment bien répondre à cette question. L’un et l’autre sont intimement liés mais je n’ai pas encore toutes les clés pour m’exprimer sur ce sujet. Je considère simplement être un bon artisan musical. J’essaie au mieux d’appliquer les principes d’une vie saine. Si un jour ma musique atteint des dimensions qui me dépassent et rejoint un très vaste auditoire de façon positive, je considérerai alors que j’aurai atteint un de mes objectifs. L’essentiel pour moi est d’avoir une attitude d’ouverture, d’accepter de ne pas savoir et éventuellement d’oser l’inconnu. D’accepter ce compositeur à venir que je ne connais pas encore.
Q : Vous qui écrivez également des poèmes, diriez-vous que le taoïsme est un poème vivant ?
R : Je dirais que le Tao (non pas le taoïsme) est un poème vivant. Je dirais que tout ce qui existe et tout ce qui n’existe pas encore (ou n’existe que potentiellement) est un poème vivant. En fait, n’existe-il rien d’autre qu’un vaste poème? Si vous portez vraiment attention, la poésie est partout. Je la trouve dans les fonds de boîtes de céréales comme dans les méga-artères de circulation bouillonnantes. Je la trouve dans les lignes de piquetage de tranches de smoked meat ainsi que dans les calvaires tourmentés des fins fonds troubles de ma psyché. Je la retrouve dans un sourire blafard ou encore dans un regard éberlué. Pour moi, ce qui compte vraiment n’est pas tant l’objet que l’on observe mais bien la façon de regarder les choses, les éléments, les êtres. Je ne cherche pas les situations poétiques, elles se présentent tout naturellement à moi dans ma vie quotidienne. Par contre cela ne veut pas nécessairement dire que j’écris des poèmes tous les jours. Je suis d’ailleurs certain que bien des gens sont poètes même s’ils ne font pas de vers. Ce qui compte, c’est la qualité de votre vision, la qualité d’attention que vous portez à votre vie.
Q : Qu’est-ce que représente pour vous le Tao ?
R : Je comprends les choses de cette façon : le Tao est à l’origine de tout et contient tout. Il contient donc tout ce qui existe et se manifeste à nos sens ainsi que tout ce qui existe ne pouvant être perçu par ceux-ci (tant à l’échelle microscopique qu’à l’échelle macroscopique). Il contient tout ce qui est manifesté et tout ce qui n’est pas manifesté en plus de la négation de tout ce qui est manifesté et non manifesté. Il inclut aussi tout ce qui a été ainsi que tout ce qui n’a jamais été et ne sera jamais. Il inclut tout ce qui sera et ne sera pas. Il est ce qui pourrait être et ce qui pourrait ne pas être. Il est autant l’infini manifesté et non manifesté dans toutes les dimensions et espaces-temps imaginables et non-imaginables que la négation complète de tout ce que j’ai nommé et de tout ce que je n’ai pas nommé. Il est le tout dans tout et le rien dans rien. Il doit donc être ce que d’autres (certains mêmes fanatiques) ont appelé Dieu…
Q : Quelles sont pour vous les affinités principales du taoïsme avec les autres grandes traditions ?
R : Je crois que toutes les traditions spirituelles importantes (je ne parle pas des religions) se rejoignent pour la plupart de leurs aspects. Il y a beaucoup de similitudes entre le taoïsme, le bouddhisme, l’hindouisme, le soufisme et les spiritualités amérindiennes par exemple. Dans toutes ces traditions, je vois l’accent mis entre autres sur le développement de l’intuition. le retour au soi originel, une volonté de déconditionnement, de se déprogrammer de tous les aspects débilitants qui affaiblissent l’Être. Je vois aussi bien évidemment un accent mis sur le respect d’autrui et des différences, etc. Ce ne sont pas les similitudes qui manquent. Il y a quelques années, je m’intéressais beaucoup à observer les affinités partagées par les grandes traditions. Plus récemment, j’ai commencé à m’intéresser aux particularités de quelques traditions. Il est important de noter que l’énergie suit la conscience et la volonté. Cela veut dire que si vous pratiquez un certain type de méditation vous pouvez obtenir un certain résultat.
Si vous pratiquez un autre type de méditation, vous obtiendrez un autre résultat. Par exemple, les taoïstes pratiquent une forme de méditation qu’ils appellent " l’orbite microcosmique ". Dans cette pratique, l’énergie circule de façon circulaire dans le corps. Cela est bien différent d’une méditation où l’énergie circule en ligne droite. Je le répète : l’énergie suivra votre conscience, votre amour et votre volonté. Vous êtes donc maître de créer l’univers que vous souhaitez. Vous êtes le maître de votre propre univers. Je suis charmé par l’équilibre, l’harmonie et l’humanité qui ressort du taoïsme. C’est une approche qui ne renie pas le corps humain mais en fait son temple et l’intègre dans le grand Tout. C’est une approche de vie non dualiste, non philosophique, basée uniquement sur la pratique et l’expérience. C’est un des courants spirituels majeurs. Pourquoi ? Cela est dû, je crois, à la pluralité de ses approches et aussi à sa flexibilité. Je trouve important de le préciser même si je ne réponds pas vraiment bien à votre question.
Q : Lao Tseu affirmait également que celui qui est capable de lire ses écrits sans y mettre sa pensée avait toutes les chances d’atteindre l’éveil. Malgré toute l’abondance d’ouvrages de sagesse, il semble que peu d’êtres communient avec les mots d’un auteur de cette façon. Pensez-vous que la musique amène plus facilement à cette communion que la lecture ?
R : Remarquez que Lao Tseu a écrit le Tao-Tö King sous forme poétique. C’est d’ailleurs la lecture de ce livre qui m’a amené à la pratique du taoïsme. C’est un bon point pour la poésie. Il est aussi vrai que la lecture demande un effort de concentration et d’attention alors que par l’écoute de la musique, les vibrations atteignent directement le cœur de l’être même s’il n’est pas présent et attentif. C’est donc un bon point pour la musique. Néanmoins, je sais qu’on peut arriver à exprimer des choses qui se situent très au-delà de la pensée rationnelle, par la poésie autant que par la musique. D’ailleurs si j’en suis venu à la poésie, c’est pour ce que la musique était impuissante à dire. Je crois par contre qu’il est nécessaire que la poésie soit vécue. C’est pourquoi j’envisage la création d’un spectacle multimédia intégrant ma poésie.
Q : Comment serait un système social appliquant le chemin du Tao ?
R : Souriez. Le paradis existe déjà. Il est en vous. J’imagine que les sociétés humaines actuelles, même si parfois elles peuvent nous sembler chaotiques, absurdes et totalement désespérantes, ne peuvent faire autrement, bien malgré elles, que d’appliquer le chemin du Tao au fond. C’est à nous de savoir le reconnaître et de nous plier aux exigences de notre propre nature. Je ne crois pas qu’il y ait " une nature humaine ". Je crois qu’il y a une multitude de natures humaines. Je vous remercie grandement pour cette entrevue. Ce n’est pas dans mon habitude ni ma propension d’en accorder. J’ai accepté de répondre à vos questions parce qu’elles étaient concrètes, intéressantes et parce que j’ai cru qu’il pouvait être pertinent de vous donner mon point de vue sur ces sujets.
Eric Lemieux est guitariste-compositeur et professeur de musique. Il a réalisé notamment des musiques pour le cinéma. Polyvalence et enthousiasme viennent épauler son engagement à la qualité et à l’authenticité.
Si vous souhaitez le joindre pour des cours de musique : 514.597.0621 ou par courriel : [email protected].
Il vit à Montréal, 5164 des Erables.
Pour entendre de nombreux extraits musicaux et découvrir son riche univers musical : www.ericlemieux.com
Eric Lemieux a également réalisé une œuvre poétique « Saison en Amérique » sous le pseudonyme de Carl Magnan. Cette œuvre est consultable gratuitement à l’adresse suivante : www.geocities.com/magnan_carl/passage.html
Entrevue par Marie-France Giavarini du magazine centrecoeur.com
Pour en savoir plus sur l’auteure, nous vous invitons à visiter sa fiche sur Alchymed.