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SPORTS ET LOISIRS

Cette fois, j’étais décidé à partir à la recherche d’un trésor. Pas des bricoles. Jusque-là j’avais sorti du ventre des navires engloutis quantité de bronze et de cuivre, des tas d’objets et d’artefacts, mais j’entendais par trésor de l’or et de l’argent.

Cent vingt ans de remords

La froideur des nuits automnales avait fait rougir les érables alors que John se porta acquéreur de trois navires mis à la casse auprès des autorités portuaires de Québec, en l’occurrence le Cité de Québec, le Cité de Lévis et le Laviolette. Phil, ma famille et moi l’avons accompagné dans la Vieille Capitale, où nous avons passé l’automne à récupérer ce qui pouvait l’être, en particulier les métaux et le matériel encore utilisable. J’avais besoin d’argent car l’expédition de l’été précédent s’était soldée par une absence de bénéfice et je devais faire vivre femme et enfant. J’ai donc travaillé pour John pendant l’automne et le début de l’hiver de l’année 1972, jusqu’à ce qu’il refile les carcasses de bateaux à un ferrailleur de Montmagny. Toutefois, le soir du 31 décembre, sur le coup de minuit, je fis le voeu que la nouvelle année fût différente de celle qui prenait fin.
Cette fois, j’étais décidé à partir à la recherche d’un trésor. Pas des bricoles. Jusque-là j’avais sorti du ventre des navires engloutis quantité de bronze et de cuivre, des tas d’objets et d’artefacts, mais j’entendais par trésor de l’or et de l’argent. Désormais, je visais le gros lot! J’ai parlé de mon projet à John. Je lui ai proposé de participer à une véritable chasse aux trésors. Je lui ai parlé de mes recherches dans l’épave au large de Ferryland, où j’avais trouvé des pièces d’argent en 1967. J’avais trouvé le nom du bateau dans les archives de Terre-Neuve, le Falcon, naufragé en 1851. En cette année, le gouvernement de Sa Majesté avait fait appel à tous les marchands afin de récupérer la monnaie sud-américaine en argent et les souverains d’or, en échange desquels ils avaient touché des billets. Les espèces sonnantes en circulation avaient été acheminées dans des sacs à Halifax à bord du Falcon pour y être fondues et coulées en lingots. Imaginez! des pièces d’argent provenant de tous les pays frappées entre les années 1550 et 1851, ce qui en ferait un des trésors numismatiques les plus importants du monde. Selon mon estimation, il devrait y rester, actuellement, plus d’un million de pièces d’argent et d’or.
À mesure que j’entrais dans les détails du projet, je m’emballais et mon enthousiasme communicatif eut finalement raison de John. L’affaire était entendue et vite nous avons pris la route de Ferryland. Phil, notre capitaine, était de la partie; il était chargé de conduire le Clarence and Walter de Saint-Jean à Ferryland. Au mois de mai, nous avons doté le bateau d’un imposant compresseur d’air et d’un tuyau d’alimentation en caoutchouc souple qui faisait six pouces de diamètre et cent vingt pieds de long. Enfin, nous étions parés pour l’aventure! Il faisait un temps radieux. Au printemps, les glaces étaient déjà descendues du Labrador et avaient nettoyé le fond de la mer, ce qui n’arrive qu’une fois tous les dix ans.

Qui plus est, l’épave du Falcon se trouvait à vingt-cinq minutes du quai. Il s’agit d’une courte distance pour se rendre au travail. Sans compter que Ferryland est un charmant village peuplé de jolis cottages posés çà et là autour de la baie. Des dizaines de petits bateaux de pêche dansaient sur les flots. Tous les pêcheurs me connaissaient à présent, tous de braves gens que j’avais plaisir à retrouver! Nous avons jeté l’ancre près de l’épave et j’ai plongé sans tarder. Je fis fonctionner l’appareil de succion mais la pression était trop forte et m’a quasiment arraché le bras. Je suis vite remonté. Je n’allais pas laisser ce stupide engin l’emporter. À cet endroit, la baie ne faisait pas plus de trente pieds de profondeur. Je suis redescendu après avoir entouré le tuyau d’aspiration d’une ceinture de plomb. J’ai recommencé à aspirer le fond marin et, trois minutes plus tard, le boyau s’obstrua de nouveau. je suis remonté avec le matériel et nous sommes rentrés au quai. Quelle journée! Il me fallait trouver un truc pour empêcher l’obstruction du tuyau d’aspiration. Ce soir-là, j’eus l’idée de souder un tamis grossier à l’extrémité du tuyau d’aspiration, pour filtrer les roches et les cailloux. Ainsi, l’appareil de succion ne serait plus engorgé.

Le lendemain, nous sommes retournés sur les lieux du naufrage et j’ai descendu l’appareil de succion dans le fond. Je me suis dit que cette fois, ça devait fonctionner. L’autre extrémité du tuyau d’aspiration ramenait les débris vers une petite embarcation que les gars dégageaient à la force de leurs bras. J’ai commencé à creuser le fond et le travail allait bon train. Il ne me semblait pas y avoir grand-chose à part de la vase et des cailloux, et je me suis dit qu’il n’y avait peut-être rien à cet endroit. Les débris défilaient tellement vite que je devais maintenir le tuyau d’aspiration sur le fond tellement la force de succion était élevée. Pour y parvenir, j’y avais attaché un morceau de fer d’environ trois cents livres sinon le tuyau d’aspiration m’aurait attiré vers la surface à une vitesse folle et j’aurais pu alors souffrir d’une embolie pulmonaire. Au milieu de tout ce brassage de roches et de gravier, je me disais qu’il y avait peu de chances de trouver un objet de valeur dans ces parages. Au bout d’une heure, j’étais épuisé et je suis remonté pour constater le résultat de mes efforts.

Je nageai jusqu’à la surface et je vis les gars qui dansaient sur le pont du bateau. Je me suis dit qu’ils étaient devenus fous. Ils me faisaient des signes et me criaient: « Regarde les pièces d’argent! » Mon coeur bondit dans ma poitrine. Les pêcheurs avaient raison. L’histoire qu’ils m’avaient racontée à propos de leurs grands-pères qui ramassaient de l’argent sur la rive était vraie! Cette fois, pas de bobards, ils m’avaient indiqué le bon endroit. Malgré les pesées de plomb qui me ceignaient les reins, je me suis mis à danser à mon tour. C’était la fête, l’euphorie! Quelle joie je ressentais! Nous tenions enfin un vrai trésor! Modeste mais cela en était un: environ soixante-quinze pièces d’argent et une pièce d’or.

Ce jour-là, nous avons dû interrompre nos recherches parce que l’émotion était si intense que nous avions seulement envie de fêter notre première véritable découverte. J’avais envie de prendre ma femme dans mes bras et de lui annoncer la bonne nouvelle! J’ai célébré avec les gars une partie de la journée pour ensuite prendre le chemin de la maison. Au moment de mon arrivée, elle était en train de laver la vaisselle. Elle s’est tournée vers la porte aussitôt qu’elle entendit claquer la portière du camion. En voyant mon grand sourire, elle savait que j’avais une bonne nouvelle à lui annoncer. Sans préambule, je lui ai lancé sous le coup de l’enthousiasme le plus puéril: «Regarde tout cet argent! Et nous avons également trouvé une pièce d’or! » Elle a déposé le torchon à vaisselle pour s’approcher et admirer le butin. Elle semblait très heureuse de ma découverte mais je sentais que quelque chose n’allait pas. «Oh! C’est très joli! J’espère que dorénavant tu vas passer plus de temps avec ta fille et moi. Plus d’une heure par semaine en tout cas! Et puis, que tu ne passeras plus des heures au téléphone à parler de trésors avec tes amis au lieu d’être avec nous!»

Je venais soudain de me rendre compte que, même si je m’assurais qu’elles ne manquent de rien sur le plan matériel, mes longues absences et le peu d’attention que je leur accordais avaient fini par miner nos rapports. La patience n’est pas une vertu éternellement renouvelable et ma femme avait épuisé toute la sienne. Tant de gens, d’hommes surtout, se consacrent corps et âme à leur occupation et en viennent à faire abstraction des êtres qui les aiment le plus et se soucient d’eux. J’étais parmi ceux-là. Le monologue de ma femme s’est terminé abruptement, sans que je ne puisse placer un seul mot.

Avec regret, je comprenais que mes aventures de marin l’exaspéraient mais j’en avais fait le but de ma vie. je ne pouvais pas renoncer pour lui plaire, sinon je l’aurais regretté pour le reste de mes jours. Je ne suis pas du genre à me laisser freiner par des émotions négatives. En fait, je ne suis pas du genre à me laisser arrêter pour aucune raison, point à la ligne. Il est préférable de ne rien entreprendre si on n’est pas décidé à se rendre jusqu’au bout. Je me suis toujours promis à moi-même de terminer ce que je commence et d’aller au bout de mes décisions. Cela peut parfois sembler cruel mais je dois à ma détermination de m’avoir conduit à la concrétisation de mes rêves et d’être resté en vie toutes ces années.

Je me souviens que déjà à sept ans j’étais déterminé et j’avais mes propres idées sur la vie et les gens. À la petite école, l’institutrice s’efforçait de m’inculquer les idées reçues à propos de la religion. Je ne les partageais pas puisque j’avais les miennes et que j’y tenais. «Tu vas te retrouver en enfer et tu ne verras jamais le bon Dieu! m’a-t-elle lancé devant la classe.

– Je n’ai rien contre Dieu mais je ne veux pas qu’on le fasse entrer de force dans ma tête. Je vais vivre éternellement et un jour, je retournerai chez moi, lui ai-je répondu.
– Mais qu’est-ce que tu dis là mon bonhomme? Tu retourneras chez toi à seize heures comme les autres.
– C’est seulement mon chez-moi temporaire! Moi, je vous parle de mon corps. Je ne fais que l’habiter et un jour je m’en libérerai pour retourner à mon vrai chez-moi! »
Déjà à cet âge je troublais les gens de mon entourage à cause de mes idées marginales. L’institutrice me demanda de me taire et s’opposa vivement à ce que je communique avec les autres enfants, sous prétexte que j’allais les perturber avec mes idées excentriques. Elle téléphona à mes parents à cinq reprises durant l’année scolaire et, devant ma mère qui me pressait de tempérer mes ardeurs, je me suis finalement résolu à ne plus partager mes idées avec mes compagnons de classe. Du coup, je me suis senti encore plus seul. C’est peu après que j’ai découvert les pierres bleues dans la cour d’école et je me suis rendu compte que les gens préfèrent entendre parler de trésors plutôt que de spiritualité.

Le livre
Dans Cents vingt ans de remords, Marcel Robillard relate ses aventures et découvertes saisissantes comme plongeur professionnel au large de Terre-Neuve et du Labrador. En explorant plus de 400 épaves, notre chasseur de trésors découvre l’Anglo-Saxon, un navire commercial qui coula à Cape Race en 1863. L’Anglo-Saxon est beaucoup plus qu’une simple épave; c’est un véritable navire hanté. Cette descente fatidique ranime de profonds souvenirs et des dangers insoupçonnés surgissent devant notre plongeur et son équipage.
Un livre à lire pour tous les passionnés d’aventure, de spiritualité ef d’histoire!
ISBN :2-89523-098-6

L’auteur
Cent vingt ans de remords est un voyage fabuleux dans les eaux profondes au large de Terre-Neuve. C’est également l’épopée de Marcel Robillard qui découvrira, au fil de ses recherches, des souvenirs surprenants et l’aboutissement d’une quête spirituelle de longue haleine.

Éditeur
Modus Vivandi
www.modusaventure.com

A propos de l'auteur

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