Rencontre entre deux mondes…
Au printemps 1993, onze Lamas tibétains visitent le Québec.
Découvrez en compagnie de Robert Bérubé leurs découvertes, leurs surprises, leurs commentaires sur notre grande et belle Amérique……Ils nous disent pourquoi notre monde ne leur semble définitivement pas, celui de l’idéal….
Un voyage au bout du monde, en une seule soirée….un regard différent sur nous, et ce que nous croyons être…
23 septembre 2003
Maison de la culture de Waterloo
441, de la Cour
Waterloo QC
J0E 2N0
Coût: 10 $
Réservation: (450) 539-4764 ou (514) 842-1888
DES MOINES PARMI NOUS
Vous souvenez-vous de ces moines qui ont débarqué à Montréal en mars 1993 pour donner des spectacles de chants tibétains? Si oui, sans doute ignorez-vous par contre que ce bref passage fut une expérience des plus inusitées pour ces hommes qui n’avaient jamais quitté leur monastère depuis leur naissance et qui ne connaissaient absolument rien de notre monde occidental. Voici le récit de cette aventure, vue de l’intérieur…
«On a highest mountain of the world, there is no grass, same on high people…» (Au sommet de la plus haute montage, il n’y a pas de pelouse, même chose pour les grands sages). Ces paroles proviennent de la bouche de l’abbé du monastère de Menri, un personnage qui est d’ailleurs le meilleur ami du Dalaï Lama. Je me trouve à cet endroit, situé à huit heures de route au nord de New Delhi, parce que je dois en repartir en amenant avec moi onze jeunes moines qui doivent donner un concert à Montréal. L’abbé a un peu peur, car ses protégés ne sont jamais sortis de leur monastère. Il me révèle que ceux-ci ne savent pas grand-chose du monde occidental, et que si l’un d’eux, par mégarde, sort seul en ville, il s’y perdra assurément et ne retrouvera jamais son chemin (!!!). Il me confie donc la sécurité de ses onze apôtres…
Pour votre information, je suis presque chauve. Tous se promènent autour de moi avec, à la main, une lame prête à raser le peu de cheveux qu’il me reste en couronne. L’abbé m’explique que la coiffure est un obstacle majeur à la découverte du véritable être qui se cache derrière ce qu’il pense avoir l’air. Voilà pourquoi les moines ont la tête rasée : ils renoncent à l’apparence. Je lui explique doucement que, chez nous, ce n’est pas comme ça que ça fonctionne, et que somme toute, le chauve que je suis se sent très bien ainsi. Il me regarde avec un énorme et tendre sourire et hoche la tête pendant que nous continuons à préparer la tournée.
L’aventure débute…
Comme vous pouvez vous en douter, prendre la route vers Montréal avec onze jeunes moines — dont trois sont déjà Geshe ou lama (c’est-à-dire des êtres de haut savoir) — réserve des surprises inimaginables.
D’abord, nous passons deux nuits à Delhi. Mes compagnons y découvrent l’ascenseur, à côté duquel se trouve l’escalier.
«Robert, please come, fait Nima, le chef du groupe, en désignant les marches.
—Non, non Nima! Allez, tu viens par ici!
—What’s that, Robert?
—ASCENSEUR, Nima. Tu entres dans la boîte et tu verras, elle te mènera aux étages supérieurs.»
Les moines n’en croient pas leurs yeux! La porte se ferme sur leurs oreilles (paf!!!). Ils ont l’air de petits chats apeurés et, en même temps, ils rient à pleins poumons. Pour eux, quelle surprise : sans avoir à faire d’efforts, les voilà au 7e étage!
Les membres du groupe ne veulent pas de chambres à lits jumeaux. Ils préfèrent se retrouver tous dans la même pièce, histoire d’éviter les dépenses inutiles! Et puis, comme il faut prier à trois heures du matin, autant rester tous ensemble. Ils allument le téléviseur. Fort intrigués, ils forment un demi-cercle autour de l’écran. L’image du réseau CNN présente un match de hockey (il n’y a plus de bout du monde) et, en plus, c’est le Canada contre la Suède…
«Robert, what is that?, questionne Nima avec un intérêt manifeste.
—Heu… hockey game, Geshe.
—What is it exactly Robert?, insiste le lama.
—Heu, comme tu sais, chaque équipe a cinq joueurs, un bâton et un gardien de but. Les joueurs se disputent une rondelle et essaient de compter le plus de buts possible dans le filet adverse. Et après 60 minutes, il y a un gagnant…
—Robert, who’s Canada?
—Les rouges, Geshe.
—Oom! Aoum!», entonnent les moines en même temps afin de donner de la chance au pays qu’ils visiteront dans quelque 24 heures…
Puis, ils «zappent» et tombent sur une partie de golf…
«Robert, what’s that?
—Golf, Nima. Dix-huit trous, un bâton et celui qui réussit tous les trous dans le moins de coups possible est le gagnant.
—Who’s Canada, Robert?
—Ah…! Laisse faire!»
Des obstacles, et encore des obstacles!
Nous finissons par décoller de l’aéroport international de New Delhi. Croyez-moi, obtenir des visas pour tout le groupe est digne du plus invraisemblable scénario américain, manipulations et pots-de-vin inclus. Il leur faut d’abord un visa indien, parce que ce pays n’est pas le leur, puis obtenir la permission de revenir. Enfin, un visa hollandais est obligatoire, parce qu’il faut passer par la Hollande avant de prendre la route vers Montréal.
Nous embarquons donc dans un immense 747-400 de la compagnie KLM. Nous roulons doucement vers la piste de décollage lorsque Nima me demande, en regardant à travers le hublot, si nous avons bel et bien décollé! (…)
Escale d’une dizaine d’heures à Amsterdam… Nous nous rendons alors en ville, histoire de passer le temps. Au Central station, il y a un rassemblement de toute la jeunesse sur la grande place. Au centre de cet attroupement se trouvent quatre jeunes filles, revêtues de jupes un peu courtes, les cheveux mauves, des anneaux dans le nez et aux sourcils. Elles en sont à leur troisième grosse bière et semblent regarder béatement dans le vide.
«Robert, what’s that?
—Heu… Trois jeunes filles, Nima.
—But Robert, what they do?
—Elles boivent une bière, Nima.
—They don’t have school, Robert?
—Je ne pense pas, Nima. (J’sais-tu moé!)
—They don’t have work?
—Ça n’a pas trop l’air, Nima.»
Il hoche doucement la tête et promène son regard sur le merveilleux occident. Nous marchons lentement et je prends bien garde de ne pas bifurquer malencontreusement vers le quartier rouge de la ville…
Puis, un homme bien vêtu vient vers moi. Il me demande qui sont ces personnes qui m’accompagnent et d’où elles viennent. Je lui explique brièvement de quoi il s’agit. Mais lorsque je me retourne, mon groupe n’est déjà plus à mes côtés. Je retrouve mes moines devant la grande vitrine d’un sex-shop, que dis-je, ils ont carrément la tête dedans!
«Robert, what’s that?
—Laisse donc faire!»
Enfin arrivés!
Mirabel, le 18 mars 1993. Il est 18 h 30 lorsque je foule le sol québécois en compagnie des huit moines et trois lamas, ainsi que 18 caisses d’équipement. Nous nous rendons tous au même comptoir, où un douanier des plus sympathiques nous accueille. Après quelques minutes de bavardage, nos visas sont en béton. À l’extérieur, minibus et tempête de neige nous attendent. Il fait moins 23 degrés!
Le tourbillon débute!
Tout se passe très vite à partir de ce moment. S’enfilent alors émissions de télévision, entrevues dans les journaux et à la radio. Tout le monde est à la recherche de la vérité, de l’harmonie totale. Un soir, nous sommes invités à l’émission AD LIB, animée par Jean-Pierre Coallier. Mais, en raison des répétitions, nous devons nous rendre en studio bien avant d’entrer en ondes. Les moines vont chanter un extrait de leur spectacle. Lorsque le régisseur lève la main pour signaler que la caméra tourne, tous répondent à ces indications par de grands bonjours.
Michèle Richard fait également partie des invités de monsieur Coallier. La chanteuse est en train de répéter et mes moines l’écoutent avec une moue épouvantable accrochée à leur bouche. Son «Coke» à la main, Nima me regarde et dit :
«Robert, what’s that??
—Plus tard, Nima.»
Mes amis orientaux trouvent que tout va beaucoup trop vite à leur goût par ici. Nima me dit que nous semblons investir beaucoup d’énergie à meubler l’intérieur… de nos maisons. Et puisque tout est minuté serré, les moines finissent par se plaindre de ne pas avoir le temps de prier.
Dans la rue, les parcomètres les impressionnent au plus haut point. Nima réunit tout son groupe autour de l’un de ces curieux objets sur la rue Saint-Hubert. Il fait moins 18. Il leur explique de quoi il s’agit. «Vous voyez, le propriétaire de la voiture se stationne, insère une pièce et peux alors repartir en paix.« (…) »Oui Nima, en paix…»
À l’Université du Québec à Montréal, nous achetons des gâteaux dans une machine distributrice. Les moines sont renversés : comment le cuisinier fait-il pour fabriquer aussi vite ces gâteaux dans un si petit endroit? Je suis étourdi, j’ai l’impression de me promener avec onze Jacques Cartier débarqués au Canada en plein hiver…
Après deux jours de folie, nous prenons un peu de temps pour échanger. Nous commençons par jouer une partie de volley-ball. Résultats : les moines «plantent» deux fois notre équipe par 15 à zéro!
Finalement, un soir, je me retrouve enfin seul avec Nima pour discuter plus intimement. Les deux bières froides que j’avale contrastent quelque peu avec le verre d’eau chaude qu’il sirote à petites gorgées. Il me dit que notre monde est difficile, que nous faisons fausse route, et que nous ne savons rien du renoncement au désir, aux choses matérielles, etc.
Ouvrons une parenthèse pour préciser qu’au monastère, là où ils vivent, se trouve un orphelinat qui recueille une centaine de jeunes provenant d’un peu partout : du Népal, du Bhoutan, de Sikkim. Le monastère en prend soin jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge de dix-huit ans. Les jeunes décident alors s’il veulent demeurer au monastère ou déguerpir. Ils sont donc coupés des choses matérielles depuis leur plus tendre enfance…
Dans les dix huit caisses d’équipement que les moines ont apportées se trouvent des articles à vendre, de l’encens et de la vaisselle, pour n’en nommer que quelques-uns. Nous poursuivons notre conversation.
«Sais-tu, Nima, avec combien de sous tu vas repartir une fois que vous aurez fini de présenter votre série de spectacles?
—Hum, I don’t know exactly, maybe 25 000 $ US…
—Et combien de temps cela te prendrait-il, dans ton monde parfait, pour en gagner autant?
—Hum, maybe 10 years…
—C’est ça, Nima, ça prend un monde de «caves» comme le nôtre pour te permettre de faire autant d’argent en si peu de temps… Ne jugeons point. Si nous pouvions prendre le meilleur des deux mondes, peut-être que ça irait mieux partout, non?
—As you know, Robert, it is very different.
—Oui, Nima, très »different«…»
Je saisis l’occasion pour lui dire vraiment ce que je pense de son monde parfait. Je lui rappelle qu’il vit une situation idéale au monastère, que le renoncement n’est pas très difficile à atteindre quand tout ce que tu as à faire, c’est d’arroser les fleurs, te couper les cheveux, faire une promenade et prier 90 minutes de suite, trois ou quatre fois par jour. Je lui explique que je crois qu’il perdrait très vite le goût du renoncement s’il vivait ici, en Amérique. Il me regarde avec cet air «parfait» et me dit :
«Why? I don’t understand what you mean?
—Je vais t’expliquer, mon Geshe. Tu sais, ici, le renoncement est un peu plus difficile à mettre en pratique qu’à 1 850 mètres d’altitude… D’abord, lorsque j’écoute la télévision, je tombe parfois sur une émission nommée «Alerte à Malibu». Je peux y voir les 27 plus belles filles de la Californie en bikini pendant une demi-heure. Et durant cette demi-heure, une publicité m’offre de me procurer une luxueuse voiture de l’année.»
Je poursuis ma démonstration en lui montrant qu’il est facile pour lui de pratiquer le renoncement parce qu’il est à l’abri du désir.
«Vis seulement six mois chez nous et tu renonceras, toi aussi, mon Nima…
—As you know, Robert, I am a monk, and this is impossible.»
Je termine ma deuxième bière et lui annonce qu’il est tard. Nous verrons tout cela demain…
Après le deuxième spectacle, je demande aux deux moines (et demi!) qui parlent anglais de demeurer sur place afin de répondre aux questions des gens. Nima est l’un d’eux. Je suis à l’arrière-scène en train de ranger des costumes lorsque ce dernier se présente à moi, l’air un peu confus.
«Robert, j’ai une permission à te demander.
—Quoi Nima?
—Eh bien…, poursuivit-il, il y a une jeune fille à l’avant qui veut toucher ma peau. (Et il me dit cela avec un sourire fendu jusqu’aux oreilles.)
—Mais pourquoi, Nima?
—Elle dit que les Tibétains ont la réputation d’avoir la peau douce et elle désire vérifier.
—Toi Nima, qu’en penses-tu?
—Je dois te demander la permission. Tu es notre chef de voyage et l’abbé m’a demandé de te consulter pour tout.
—Mais toi, Nima, quel est ton avis?
—Ma religion m’enseigne le service, le don de soi, une grande disponibilité aux autres.
—Eh bien voilà, Nima, vas-y, va te faire flatter!»
Il repart en direction de l’avant-scène, mal à l’aise certes, mais il y va tout de même. Je retourne quant à moi à mon travail. Au bout de vingt minutes, le revoici devant moi (j’avais oublié, entre temps, ce qu’il était allé faire). Nima ressemble à sa photo de passeport : il a le front humide et ses lunettes sont en déséquilibre sur son nez.
«Et alors, Nima?
—Voilà… Tu te souviens de la conversation que nous avons eu hier soir sur le renoncement et tout?
—Oui, oui, Nima.
—Eh bien, je suis maintenant un peu d’accord avec toi sur certains points.
—Un peu, Nima?
—Attends… Tu sais la jeune fille qui voulait vérifier la douceur de la peau des Tibétains?
—Oui, oui, oui, Nima! Et puis? Raconte…»
Il rit, tout gêné; il a l’air d’un éléphant qui veut vivre au pôle sud…
«Alors, Nima, dis-moi.
—Elle a vérifié la douceur de ma peau pendant une vingtaine de minutes et j’ai eu une réaction…
—No Nima, it was not a reaction, it was an erection, an erection!»
Une expérience inoubliable
Quelle inoubliable expérience que ce bref passage des moines tibétains en notre sol occidental! À l’aéroport d’Amsterdam, sur le chemin du retour, ils ont déposé autour de mon cou onze foulards de soie très blancs. Tenzin, le gros joueur de tambour, me fit promettre, les yeux dans l’eau, que je retournerais bientôt au monastère afin de regarder les photos du voyage avec eux. «Oui, Tenzin, je tiendrai promesse!»
Depuis, ces moines sont devenus mes amis. Ils reçoivent maintenant des Québécois qui ont le goût d’aller vivre là-bas quelques jours de paix, dans un cadre de rêve. Ils les reçoivent au monastère, et leur enseignent comment meubler… l’intérieur de leur âme!
Quant à Nima, il n’est jamais venu vivre ici. Il médite toujours trois mois chaque année au fond d’une caverne, en véritable ermite. Il se fout bien des belles bronzées d’«Alerte à Malibu» et des «Lexus» de l’année. Il m’écrit tous les six mois, me demandant à quel moment je retournerai parfaire mon éducation. «Bientôt, Nima, bientôt…»
Les Routes du Monde présente:
Rencontre entre deux mondes…
23 septembre 2003
Maison de la culture de Waterloo
441, de la Cour
Waterloo QC
J0E 2N0
Coût: 10 $
Réservation: (450) 539-4764 ou (514) 842-1888