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Un gars peu ordinaire

Le bonheur réside avant tout dans notre façon de voir la vie et les événements qui se présentent.

Ainsi, une situation qui s’avère dramatique pour certains, peut devenir, pour d’autres, une occasion de dépassement, un tremplin d’évolution extraordinaire, comme le démontre l’histoire de Robert.

Robert me téléphona un beau jour me disant qu’il avait une expérience intéressante à me raconter pour mon prochain recueil d’histoires vécues. J’ignorais tout de son histoire, mais j’acceptai tout de même de le rencontrer et lui donnai rendez-vous chez moi. À l’heure prévue, je vis arriver un homme d’une cinquantaine d’années, tout souriant. Sa démarche légèrement claudicante me donna l’impression qu’il avait un problème au niveau des membres inférieurs, mais sans plus. Robert entreprit alors de me raconter, le plus naturellement du monde, ce qu’il appela « un simple accident de parcours » – mais qui était en réalité un événement extrêmement dramatique – survenu lorsqu’il avait sept ans. Voici le récit de cet homme peu ordinaire :

J’ai toujours adoré les trains électriques miniatures. Chaque fois que j’en avais l’occasion, je m’arrêtais devant le magasin de meubles de l’avenue de la Cathédrale, à Rimouski, fasciné par la beauté des trains aux wagons rutilants qui étaient étalés dans sa vitrine. Un midi de janvier 1957, j’avais alors sept ans et je revenais de l’école avec mes amis, lorsque nous décidâmes de nous rendre au magasin situé de l’autre côté de la voie ferrée. Nous étions excités à l’idée de pouvoir admirer de près le magnifique train de marque Lionel qui y était exposé.

Je m’élançai sur la voie ferrée derrière deux de mes amis, persuadé que j’avais le temps de traverser avant le passage du train de marchandises qui reculait dans ma direction. Mais mon pied glissa sur le rail, ce qui m’arrêta dans mon élan. Je ressentis un poids énorme sur mon pied, comme si une enclume l’écrasait. Puis une masse me frappa en plein front et je basculai vers l’arrière, les deux jambes prises sous les roues du wagon de queue qui me traîna sur une distance de plusieurs mètres. Je me souviens d’avoir fixé pendant un long moment, incrédule, les grosses roues de métal qui me broyaient les jambes.

Le train s’est finalement arrêté, en vue de repartir dans l’autre sens. Un employé des chemins de fer entendit alors des cris et courut vers l’arrière du train pour constater le terrible accident qui venait de se produire. Il se précipita vers moi et eut tout juste le temps de me retirer de sous les roues du wagon avant que le train ne reparte, ce qui m’aurait sans aucun doute été fatal.

Il faisait très froid et le contact du fer glacé sur la chair chaude de mes jambes fut horriblement douloureux, mais je ne perdis pas conscience. Mon corps devint peu à peu engourdi et je fermai les yeux pour tenter d’échapper à ce cauchemar, pendant que l’on me conduisait rapidement à l’hôpital de Rimouski. On m’opéra d’urgence pour m’amputer la jambe gauche à quatre pouces sous le genou et la droite, à la mi-cuisse.

À sept ans, je ne réalisais pas toutes les conséquences que cet accident aurait sur ma vie. Mes parents avaient énormément de peine et étaient aussi très inquiets, anticipant tous les obstacles que j’aurais à surmonter. Mais mon jeune âge me permettait de voir l’avenir avec une certaine insouciance et de m’attarder davantage à ce que je vivais au moment présent.

Cinq mois après l’accident, mes moignons étant suffisamment guéris, je reçus ma première paire de prothèses. Nous demeurions au deuxième étage et il y avait une passerelle qui conduisait au garage. Je me pratiquai à monter et descendre les deux marches donnant accès à la passerelle. Cinq jours plus tard, je me sentis prêt à relever mon premier gros défi et descendis sans aide, et surtout sans tomber, l’escalier de la maison menant au rez-de-chaussée. Une fois en bas, je criai :

– Maman, maman, viens voir où je suis rendu !

– Mais qui t’a amené là ? s’écria ma mère en arrivant sur les lieux.

– Personne, j’ai descendu l’escalier tout seul, lui répondis-je, très fier de ma prouesse.

J’ai appris à remarcher tout en demeurant en équilibre sur mes prothèses, sans utiliser de canne ou de marchette, ne ménageant aucun effort malgré de nombreuses chutes. Comme il y avait beaucoup de dénivellations sur ma route lorsque je me pratiquais à l’extérieur, cela m’a pris environ deux mois avant d’être à l’aise pour me déplacer sans avoir peur de tomber.

J’avais aussi d’autres défis à surmonter face à la société. À cette époque, handicapé signifiait impotent, et chaque fois qu’on me voyait accomplir quelque chose de nouveau, on considérait cela comme un véritable exploit. J’étais déterminé de nature et il suffisait qu’on place une barrière devant moi pour que je trouve le moyen de franchir cet obstacle, mais je me voyais avant tout comme une personne ordinaire et n’admettais pas que les gens puissent me considérer autrement, tout simplement parce que j’avais un handicap physique.

Je souhaitais prendre ma place au sein de la société et ce sont les sports qui m’ont donné cette opportunité. Vers l’âge de seize ans, j’ai commencé la gymnastique avec appareils et lorsque, en secondaire III, mon école organisa des compétitions de style olympique, j’ai décidé de m’y inscrire. J’étais le seul handicapé à participer à ces compétitions et j’avais ainsi une bonne occasion de me mesurer aux autres jeunes de mon âge.

J’étais dans la catégorie gymnaste de deuxième classe et j’avais une routine obligatoire de même qu’une routine libre à effectuer. J’ai choisi comme discipline personnelle, les anneaux, le cheval d’Arçon ainsi que les barres parallèles. Pendant trois mois, j’ai travaillé très intensivement et mes efforts furent récompensés. J’ai obtenu la médaille de bronze pour les anneaux et la médaille d’or pour les barres parallèles. Je n’oublierai jamais l’immense fierté que j’ai ressentie lorsque mille deux cents élèves, en plus des professeurs, se sont levés pour m’acclamer tandis que l’on me remettait le trophée d’excellence de meilleur gymnaste de la journée. Je tremblais d’émotion, touché en plein cœur par cette longue ovation. J’avais réussi à prouver que j’étais une personne tout à fait « normale » capable de réussir au même titre que les autres.

Avant mon accident j’avais peur de l’eau, mais j’ai surmonté cette peur par la suite et j’ai appris à nager. Je me suis fixé le but de devenir instructeur de natation et j’y suis arrivé après beaucoup d’efforts et de persévérance. J’ai enseigné la natation à des handicapés physiques ainsi qu’à des non-handicapés. J’ai aussi participé à plusieurs « nagetons » au profit du Club Dauphin de Rimouski, récoltant au-delà de cinq mille dollars en cinq ans.

J’ai toujours eu de la facilité à me faire des amis et je m’intégrais facilement dans un groupe. Mes amis et moi participions aux soirées sociales organisées par l’école. C’est au cours d’une de ces soirées que j’ai invité Françoise à danser pour la première fois. Je la serrai dans mes bras, au rythme d’une chanson de Robert Charlebois, dont les paroles me rejoignaient beaucoup : Je suis un gars ben ordinaire… Ce fut le début d’une relation amoureuse qui dure depuis plus de vingt-six ans. Ma femme et moi avons eu deux filles qui sont notre plus grande fierté.

Le fait d’accepter mon handicap au lieu de pleurer sur mon sort m’a aidé à être autonome et à mener une vie normale. Les gens autour de moi arrivent même à oublier que je n’ai plus mes jambes. Un jour, alors que je souffrais d’un gros rhume, ma belle-sœur me prodigua le conseil suivant :

– Tu devrais prendre un bain de pieds avec des oignons, c’est très efficace.

– Voyons Lucie, lui répondis-je avec bonne humeur, tu sais bien qu’il y a longtemps que je ne prends plus de bain de pieds.

Nous éclatâmes de rire tous les deux, lorsqu’elle réalisa le non-sens de sa proposition.

Lucie me lança aussi, un autre jour, à l’intérieur d’une conversation :

– À ta place j’aurais eu les jambes molles !

Je lui répondis aussitôt avec mon humour habituel :

– Au contraire, je n’ai jamais eu les jambes aussi dures de ma vie !

Nous avons à nouveau bien ri lorsqu’elle se rendit compte de ce qu’elle venait de dire.

À cinquante et un ans, je suis pleinement satisfait de ma vie, mais je caresse un nouveau rêve. Je souhaite me retirer du travail que j’effectue dans le domaine de l’informatique pour me lancer dans une nouvelle carrière. Je reçois présentement une formation afin de devenir animateur en relations humaines, travail qui me permettra de pouvoir aider d’autres personnes à se prendre en main pour surmonter les épreuves qui leur arrivent.

J’ai choisi très jeune d’avoir du pouvoir sur ma vie et de créer mon propre bonheur, car je me suis rapidement rendu compte que celui-ci ne dépendait que de moi et que personne ne pouvait assumer ma vie à ma place. Mon accident m’a amené à me dépasser à chaque jour et à foncer en dépit des obstacles.

Aujourd’hui, je ne prends rien pour acquis ; je continue de me fixer des buts et de tout faire pour les réaliser, sachant que je suis supporté par un Être Supérieur qui place sur mon chemin tout ce que j’ai besoin de vivre et d’apprendre, au moment opportun. Car j’ai la conviction profonde que « lorsque l’élève est prêt, le Maître vient vers lui ».

En entendant le récit peu banal de Robert, je compris que j’avais devant moi un homme épanoui et heureux, qui me prouvait, par son exemple de vie, que nous sommes entièrement responsables de notre bonheur, peu importe les obstacles et les épreuves qui se présentent à nous. Il est tellement plus facile dans l’adversité de blâmer les autres, ou encore d’attendre que les gens autour de nous nous rendent heureux. Mais accepter que nous sommes seuls responsables de notre bonheur, quoi qu’il nous arrive, nous permet d’être en contact avec notre pouvoir intérieur et, par le fait même, de créer véritablement notre vie et, surtout, notre bonheur.

Diane Fournier

Tiré de Ces expériences qui nous transforment ,Volume 2
Des témoignages de courage : Un gars « ben » ordinaire

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