L’importance de l’intégration sociale
Ce ne fut pas le cas pour Marie. Après avoir donné naissance à un enfant trisomique, elle décida de tout mettre en œuvre pour que son fils ait une vie normale, en étant intégré à la société. Voici le récit de cette maman courageuse et déterminée :
" Mon fils, Gabriel, était tout jeune lorsqu’on m’a demandé d’exprimer un rêve que j’entretenais à son sujet, face à son avenir. J’ai répondu que je souhaitais qu’il puisse fêter ses dix-huit ans en allant prendre un verre de bière dans une brasserie, en compagnie de ses amis. Cette réponse peut sembler banale pour bien des gens, mais il était important, pour moi, que Gabriel puisse fêter cette étape de sa vie comme tout autre jeune, car je savais l’énorme défi que cela représenterait pour lui d’en arriver là.
Lorsque j’ai appris, peu après mon accouchement, que mon fils était trisomique, je suis restée bouche bée, puis je me suis retirée dans ma chambre d’hôpital pour pleurer à l’abri des regards. Le lendemain, un pédiatre s’est présenté à moi en disant : " Je suis venu pour répondre à vos questions, car je suis à l’aise avec la trisomie. Je m’occupe de plusieurs enfants présentant une trisomie 21 et, si vous le désirez, je peux suivre votre bébé ".
Ce fut un grand réconfort pour moi d’entendre ce médecin me brosser un tableau optimiste de tout ce que Gabriel pourrait sans doute arriver à faire un jour. Tout ce que cet homme compréhensif m’a prédit, Gabriel l’a amplement dépassé aujourd’hui. Mais ce ne fut pas nécessairement facile.
Heureusement, je fus dirigée dès le départ vers les ressources existantes, et j’eus la chance d’être accompagnée dans ce que je vivais, grâce au groupe Parents-soutien. Aussi, lorsqu’on m’a demandé de devenir membre de Parents-soutien, je n’ai pas hésité à accepter, car j’avais compris l’importance de ne pas demeurer isolé lorsqu’on vit une telle situation, le support devenant tellement facilitant. Je prenais ainsi contact avec le milieu associatif dans lequel j’allais toujours continuer de m’impliquer par la suite.
Ma plus grande inquiétude était que mon fils ne puisse pas apprendre comme les autres enfants et qu’il soit en marge de la société. J’essayais donc de me tenir au courant de tout ce qui se faisait au niveau de la déficience afin de le diriger au bon endroit, que ce soit pour la garderie ou pour l’école, qui sont elles-mêmes des mini-sociétés. Car j’ai toujours cru que pour pouvoir développer le maximum de son potentiel à tous les niveaux, il fallait qu’il soit intégré dans la société, tout comme il l’était dans son milieu familial. Gabriel est le deuxième enfant et le seul garçon d’une famille de quatre, et il a toujours participé aux activités familiales au même titre que ses sœurs.
Il avait trois ans et demi lorsque je suis allée à une rencontre visant à nous apprendre une méthode de pré-lecture et de pré-écriture pour les enfants présentant une déficience intellectuelle. J’étais très sceptique au début, car je me demandais comment un enfant qui parlait aussi peu que Gabriel pouvait apprendre à lire. On me montra des exemples de réussite et je me suis dit que je n’avais aucune raison de ne pas essayer.
J’ai donc commencé par lui enseigner des mots significatifs de manière très simple sur un carton posé par terre. Un an plus tard, Gabriel pouvait lire environ soixante-dix mots et même de courtes phrases. Comme il bougeait sans arrêt, il se précipitait pour ramasser le carton en même temps qu’il nommait le mot. On m’avait recommandé de ne pas lui enseigner l’alphabet pour ne pas créer de confusion dans sa tête, mais il reconnaissait toutes les lettres et faisait de lui-même des associations, comme " a " dans " papa ", etc. Il apprit donc l’alphabet sans difficulté. Cette réussite fut une merveilleuse découverte pour moi : mon fils avait des capacités d’apprentissage. Je me suis dit que si j’avais pu lui montrer à lire, un enseignant, avec toute sa pédagogie et son savoir, saurait lui apprendre des choses. Cette méthode eut aussi un effet positif sur sa concentration et son langage. Ce succès lui a permis de recevoir des services d’orthophonie, et a facilité son entrée à l’école de notre quartier fréquentée par sa sœur aînée.
En entrant dans une école régulière, Gabriel fut confronté aux nombreuses conventions sociales et à tous les non-dits qu’il avait parfois de la difficulté à saisir, mais quelle chance extraordinaire pour lui. Il bénéficia de l’aide d’une technicienne en éducation spécialisée et d’un programme adapté qu’il dépassa rapidement. Les notions abstraites, comme les mathématiques, lui causaient cependant beaucoup de problèmes. Un jour, au cours de sa quatrième année scolaire, il réussit à intégrer le calcul mental. Reconnaissant qu’il s’agissait d’une victoire importante pour lui, ses compagnons de classe l’applaudirent alors chaleureusement. Je fus émue lorsque le professeur me raconta cette belle manifestation de solidarité de la part des jeunes. Le fait d’être ainsi mis en valeur par ses camarades, au lieu d’être rejeté comme le sont beaucoup d’enfants différents, contribuait à rehausser l’estime de soi de mon fils.
Il changea d’école au deuxième cycle du primaire et dut s’adapter à un nouveau groupe de jeunes qui ne l’avaient pas côtoyé auparavant et qui se montrèrent parfois très durs envers lui. Voyant sa sœur cadette revenir de l’école en pleurant parce qu’elle avait entendu des commentaires désagréables à son sujet, je décidai d’agir. Je faisais partie de l’Association pour l’intégration sociale de la région de Québec et je savais qu’il existait des projets de sensibilisation, entre autres, un spectacle avec des marionnettes géantes, dont l’une était trisomique, visant à combattre les préjugés concernant la différence. J’ai demandé que ce spectacle soit présenté à l’école de mon fils, ce qui fut accepté.
Cette sensibilisation s’adressait aussi aux adultes, car il est prouvé que les enfants calquent leurs comportements sur ceux des adultes. À partir de ce moment, j’ai pu voir un virage à l’école pour Gabriel. Par exemple, malgré sa timidité, il n’était plus seul dans la cour de récréation, des jeunes allant spontanément vers lui. J’étais heureuse de constater qu’un réseau d’amis se tissait tranquillement autour de lui.
Il fut aussi intégré dans les loisirs, que ce soit la natation, le ski, ou encore les scouts. Les autres parents me félicitaient parfois pour l’éducation que j’avais donnée à mon fils qui lui permettait de faire partie de la société au même titre que les enfants ayant un développement normal. Je leur répondais alors que c’était aussi grâce à eux. En effet, ils avaient accepté que Gabriel soit dans le même groupe que leur enfant, même si cela signifiait parfois un ralentissement, davantage d’explications, etc., et je leur en étais reconnaissante. En contrepartie, la présence de Gabriel permettait aux jeunes de faire l’apprentissage de la tolérance, de l’acceptation des différences.
Un jour, Gabriel revint du Patro tout joyeux, me disant qu’il s’était inscrit à un " danseton " visant à amasser des fonds pour aider les familles les plus démunies, sans réaliser complètement ce à quoi son engagement consistait. Comme il adorait danser, j’ai trouvé l’idée excellente et lui ai expliqué le fonctionnement de ce genre d’activité. Il s’est trouvé des commanditaires et a dansé pendant une douzaine d’heures d’affilée, jusqu’au petit matin. Oubliant sa fatigue, il insista pour participer à sa compétition de ski prévue le lendemain, même s’il n’avait pas dormi de la nuit. Je dois dire que j’étais particulièrement fière de mon fils, de le voir s’impliquer ainsi et, surtout, de persévérer dans ses engagements.
Il a aussi épousé la cause de son école visant à amasser des fonds pour que des enfants handicapés puissent bénéficier de séjours dans des camps de vacances, cause qu’il prenait très au sérieux. C’est ainsi qu’il a participé à une course à relais sur les Plaines d’Abraham, à Québec, avec ses compagnons de classe. J’étais émue de voir mon enfant " différent " manifester une grande compassion pour ses pairs.
Je me rends compte aujourd’hui, avec beaucoup de satisfaction, que la boucle est bouclée. J’ai été aidée, après la naissance de mon fils, afin de reprendre pied et aller de l’avant. Je me suis ensuite efforcée d’aider les autres en m’impliquant dans différents organismes, dont le groupe Parents-soutien. C’est maintenant au tour de Gabriel de s’impliquer, dans la mesure de ses capacités, afin de rendre à la société une part des bienfaits qu’elle lui a procurés. Il débutera sous peu des stages en milieu de travail, et j’ai confiance qu’il y trouvera sa place, comme il l’a toujours fait jusqu’ici.
Gabriel a atteint sa majorité en février 2002 et le rêve que j’avais fait pour lui, il y a de cela des années, s’est bel et bien réalisé : grâce à sa sœur aînée, Dominique, qui a organisé l’événement, mon fils a célébré ses dix-huit ans dans une discothèque en compagnie de jeunes fort sympathiques. Après avoir obtenu son entrée gratuite, il eut la surprise d’entendre annoncer son anniversaire au micro, ce qui lui valut d’être acclamé joyeusement par tous les gens présents. Il se vit même offrir une bière, gracieuseté de l’établissement.
Il n’était pas le seul à rayonner de bonheur le lendemain, car sa famille entière était très heureuse pour lui, de même que très fière qu’il contribue à abolir les préjugés concernant la différence, en étant intégré dans la société ".
Le témoignage de Marie constitue une belle leçon de vie et suscite l’espoir que notre société est en train de changer face aux personnes différentes. L’éducation face à l’acceptation et au respect des autres doit se faire dès le plus jeune âge. En tant qu’adultes, nous avons la responsabilité de prêcher par notre exemple, car, comme le dit si bien Marie, les enfants calquent leurs comportements sur ceux des adultes. Ils sont donc un très beau miroir pour une société en évolution.
Diane Fournier
Tiré de : Ces expériences qui nous transforment, Volume 3.