La bio-analyse comme approche psychothérapeutique
C’est ainsi qu’est née, voilà maintenant un an, en 2004, l’Institut Montréalais de Psychothérapie Corporelle, une association sans but lucratif se donnant comme mission de former des psychothérapeutes en bio-analyse capables de relier analyse et techniques de travail corporel de sorte que surgisse, au terme d’un processus de maturation et de dénouement, un corps parlant et réellement habité.
La thérapie bio-analytique mise sur l’écoute, l’élaboration et la gestation en mettant au premier plan l’inconscient, le sexuel et l’infantile. Se distinguant des approches néo-reichiennes, la bio-analyse, sans jamais négliger le versant quantitatif, insiste sur l’aspect qualitatif des affects, sur l’intensité des relations à soi et à l’autre, ce qui suppose une conception topique, dynamique et économique du sujet. La bio-analyse ne rejette pas la pulsion de mort, mais en tire les conséquences dans le processus thérapeutique lui-même.
Les trois fondateurs et associés de l’Institut Montréalais de Psychothérapie Corporelle veulent donner un souffle inédit aux approches corporelles pratiquées au Québec depuis une trentaine d’années en se donnant pour tâche analysante l’accompagnement de personnes souhaitant entreprendre une formation en profondeur les conduisant à occuper la position de psychothérapeute en approche bio-analytique.
En quoi consiste donc la bio-analyse? Pour l’entendre, il faut faire un peu d’histoire et faire ressortir la dimension transgénérationnelle de l’esprit de l’Institut Montréalais de Psychothérapie Corporelle. Ce qui, en clair, signifie, revenir à Sigmund Freud, le Père fondateur de la psychanalyse, et Sándor Ferenczi, le grand médecin hongrois fondateur de l’Association Internationale de Psychanalyse.
Depuis sa célèbre Esquisse d’une psychologie scientifique, de 1895, jusqu’à la toute fin de sa vie, Freud rêva d’une confirmation par la biologie de ses hypothèses de travail au sujet de l’appareil psychique, au point d’écrire, dans sa notice nécrologique de Sándor Ferenczi (1933), qu’il y aura « effectivement un jour une bio-analyse », c’est-à-dire une discipline capable d’intégrer efficacement les aspects physiologiques et psychiques de l’être humain. Avec le terme bio-analyse, c’est de psychosomatique que parle déjà Ferenczi. Jacques Lacan prendra le relais en ouvrant la voie à la réflexion et à la clinique de la psychosomatique en demandant comment le sujet affectif peut exister dans son corps autrement que par la maladie pour en arriver à parler en son nom propre. Mais qu’on le reconnaisse ou non, c’est d’abord et avant tout à Ferenczi qu’il faut se référer pour les bases de la psychosomatique et en particulier à son génial et parfois délirant ouvrage intitulé Thalassa. Recherche d’une théorie de la génitalité (1924) – selon le titre heureusement corrigé par Lacan dans son séminaire consacré à l’angoisse.
Ce magnifique ouvrage – dont Freud dira qu’il est « l’application la plus hardie de la psychanalyse qui ait jamais été tentée » – s’appuie sur les théories évolutionnistes de Lamarck et sur la loi fondamentale de Haeckel afin de mettre en lumière deux axes de recherche. Le premier axe consiste en une analogie entre les moments que Ferenczi appelle catastrophiques du développement de l’embryon (du côté de l’ontogenèse) et le développement de l’espèce (du côté de la phylogenèse). Le deuxième axe de recherche concerne la régression, laquelle permet de soutenir une interprétation érotique de la réalité, du coït, du sommeil et de l’impuissance sexuelle.
En fait, Sándor Ferenczi n’a cessé de chercher à comprendre le processus même du vivant, du « bios », lequel implique, au-delà du phénomène organique brut et pur de la vie, la capacité pour la personne d’en faire le récit au moyen du langage, d’en raconter l’histoire, d’en parler. À la question que posait le sinologue François Jullien de savoir si le décoincement intérieur (la déliaison) doit se faire par l’opération de la parole ou par le travail du souffle (qigong) et par la respiration, sans oublier la visualisation des énergies et la méditation, ma réponse est que, comme dans les arts martiaux, l’essentiel est le passage de l’un à l’autre, passage qui est ici synonyme de processus. À Jullien, je réponds donc : et le divan et les arts de longue vie ; et Moïse et la Chine – ou l’Inde, le Tibet ou les autres grandes traditions, tout aussi bien.
Sans doute la fidélité à ce projet explique-t-elle en bonne partie que Ferenczi ait pu développer des notions aussi fructueuses pour la clinique que l’introjection et la régression et qu’il ait pu penser de manière aussi perspicace les relations d’objet et la complexité du trauma. Sans doute sa passion a-t-elle joué un rôle essentiel dans son audace d’expérimentateur, comme en font foi les différentes méthodes (pensons à la technique dite active, à la technique d’élasticité et de permissivité de même qu’à l’analyse mutuelle) qu’il a humblement rejetées avec la même force qu’il avait mise à les élaborer. Sans doute ses visions et ses fantasmes ne sont-ils pas étrangers à l’intérêt qu’il a suscité chez des savants comme Pierre Teilhard de Chardin, André Leroi-Gourhan, Konrad Lorenz, Michael Balint, Maria Torok, Nicolas Abraham, Antoinette Fouque, Yves Coppens et René Thom.
On voit que ce n’est pas par coquetterie que les associés de l’Institut Montréalais de Psychothérapie Corporelle ont fait de l’œuvre de Ferenczi l’une (mais pas la seule) de leurs bases de travail et de formation. Il apparaît aujourd’hui comme l’un des seuls psychanalystes à avoir tenté, conscients de tous les écueils que cela représentait – de fonder une théorie de la génitalité et de sortir ainsi de ce qu’Antoinette Fouque – la fondatrice de Mouvement de Libération des Femmes – appelait le « monisme phallique » et de ce que Jacques Derrida a nommé le « phallogocentrisme ».
Thalassa apparaît aujourd’hui comme d’une importance dans le passage d’une « psychanalyse du sujet » à une « psychanalyse du corps », ou « psychanalyse naturelle », passage qu’Antoinette Fouque qualifie de « démocratisation du pouvoir symbolique ». Avec Ferenczi, le corps peut mentir, il n’est plus une simple surface ou un objet supportant les noyaux pervers du thérapeute et du social. La mission de l’Institut Montréalais de Psychothérapie Corporelle comporte la prise en considération de la chair en tant que « lieu du réel » et de la génitalité, « en deçà de l’oral ou au-delà du phallique », pour reprendre encore une fois les termes d’Antoinette Fouque.
Il s’agit par conséquent, pour les formateurs de l’Institut Montréalais de Psychothérapie Corporelle, d’accompagner dans leur formation des psychothérapeutes permettant de donner voix au sans-voix du sujet, de donner voix à ce qui reste replié dans la chair et le corps. Il s’agit d’accompagner dans leur formation des thérapeutes qui, par leur travail, alors inévitablement politique et analytique, aident à donner voix au vivant comme objet du désir de l’être humain.
Michel Peterson, associé IMPC