Un jeudi pas comme les autres
C’est comme s’il fallait poser des gestes logiques et raisonnables pour trouver ce qui est bon pour soi ou, tout simplement, pour s’amuser. Et puis, on cherche ailleurs ce qui peut nous égayer maintenant. Je trouve que les enfants ont la meilleure attitude : ils s’émerveillent de ce qu’ils voient et non de ce qu’ils espèrent voir, ils s’amusent avec ce qui est là parce qu’ils sont présents à ce qui les entoure, ils découvrent parce qu’ils sont ouverts au nouveau et à l’imprévu. À part ça, ils ne font pas semblant d’être heureux. Quand ils sont de bonne humeur, ça paraît, et quand ils sont maussades, ça paraît aussi. Bon! me revoilà en train de philosopher sur le bonheur. Ça ne doit pas donner grand chose. Je ne crois pas qu’un seul philosophe ait totalement intégré la notion de bonheur, sinon il n’aurait plus besoin de philosopher sur ce sujet.»
Cette remarque amuse Irène et a pour effet de ramener son esprit dans le mail central du centre commercial, là où elle se trouve en ce moment. Elle se mêle à cette foule grouillante qui ne semble aller nulle part. Elle s’amuse de plus en plus de tout ce qu’elle voit. C’est un peu comme si elle était un explorateur à la découverte d’un monde nouveau. Peu de gens portent attention à elle, sauf les petits dans leur poussette et quelques personnes âgées qui se fraient lentement mais sûrement un chemin à travers les gens indifférents à la richesse de ce moment d’éternité.
Tout en marchant, elle se dit que les tout-petits, comme les sages, ont un regard franc sur les événements du quotidien. Ils n’ont pas la vision obstruée par une épaisseur de masques, de fausses interprétations, ou une vision floue en raison de l’interférence des émotions. Ils ne sont pas en train de courir après ce qui peut leur amener une sorte de satisfaction. Ils sont satisfaits ou ils ne le sont pas; ils savent de quoi ils ont besoin et ils s’arrangent pour l’avoir sans artifice et sans faire mille et un détours. Ils doivent bien voir les autres avec des yeux qui transpercent les apparences, en vient-elle à penser. Un petit enfant se retourne dans sa direction et lui décroche un beau sourire, les yeux tout ronds, pétillants de joie. On dirait qu’il est content de saluer quelqu’un qui sait accueillir son état d’âme. Une complicité tacite circule entre elle et ce jeune, très jeune inconnu qui la côtoie l’espace et le temps d’une joie et d’une confirmation que leurs impressions sont réelles et fondées.
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Extrait : Un jeudi pas comme les autres
de Danièle Bernier,
Édition la Plume d’oie,
p. 54 et 55.