Héros et leaders
Ils sont forts, ils sont grands et tout puissants. Il n’y a pas de place, chez eux, pour la diversité, la différence : d’un côté il y a les bons ; de l’autre, les méchants. C’est en ce sens que James Bond, Lucky Luke ou Superman sont des héros et non des leaders. Ils n’ont pas de limite, pas d’attache, et ils ont généralement une vie affective et sexuelle déficiente. Ils sont en général de race blanche, de culture judéo chrétienne et viennent des États Unis d’Amérique ou de l’Europe de l’Ouest.
Un vieux soldat me disait un jour que l’héroïsme est monnaie courante dans le quotidien de la guerre. C’est une simple question d’adrénaline. Le leadership, lui, n’a rien à voir avec les hormones, mais bien davantage avec l’intégrité, le courage et l’humilité. L’héroïsme fait aussi partie du regard de chaque enfant quand il contemple ses parents. C’est le rapport fondamental aux autres de celui qui n’a pas appris combien il faut être courageux et intègre pour être vraiment à l’égal de sa propre grandeur. Il ne suffit pas d’avoir un titre, il faut jour après jour le mériter, lui survivre, le réinventer.
Et lorsque grandit l’enfant, il en vient à se demander s’il n’y a pas un peu de gris entre le jour et la nuit, si le truand ne cache pas un être tendre et meurtri, et son idole de toujours, un être parfois insipide et souffrant de solitude. Le père, jadis le dépositaire de toutes les fantaisies de perfection, apparaît soudain rigide, dépassé, usé par la vie. Quelle frustration ! Mais en même temps quelle délivrance ! Chacun apparaît tel qu’il est : perfectible, humain, attendrissant. La communication devient enfin possible, les confidences deviennent soudainement bilatérales. La vie devient improvisation et cesse d’être une histoire à un volet, un roman policier ou une quête de l’impossible image.
Il y a, évidemment, tous ceux qui refusent ce passage et se cantonnent dans leur cinéma intérieur pour mieux y contempler ce qu’ils voudraient voir dans leur patron, leur premier ministre, leur époux et eux mêmes. Ces gens sont faciles à reconnaître : ils sont amers, déçus de la vie et d’eux mêmes. S’ils ne le sont pas encore, ça n’est qu’une question de temps.
Dans l’entreprise, il n’est pas facile d’échapper à cette dialectique du héros lorsqu’on accède à un poste de direction. En réalité, le gestionnaire lui même sera souvent tenté de croire qu’il fait désormais partie d’une « classe à part », encouragé en cela par tous les aléas de son poste et aussi, souvent, par les comportements organisationnels qui le consacrent comme le « bon » ou le « mauvais » patron. Mais au fond, ce qui fait que le leader et en réalité dans une classe à part, c’est sa capacité de répondre de lui même face à des défis provenant autant de l’entreprise que de ses subalternes. Il doit gérer la diversité autant des personnes que des mandats dont il est responsable.
On voit plus clairement, aujourd’hui, comment la diversité s’organise elle même autour de groupes de pression avec lesquels le leader doit apprendre à collaborer. La force de travail est non seulement de plus en plus diversifiée sur le plan personnel autant que culturel, elle est aussi mieux structurée autour de revendications que chaque sous groupe se trouve justifié de défendre. Une entreprise qui s’implante aux États Unis doit non seulement faire face à la diversité ethnique caractéristique à ce pays, mais aussi à la diversité liée aux choix sexuels, religieux, politiques, sociaux, etc. Il y a les droits des femmes, des Noirs, des personnes handicapées, des homosexuels, des Musulmans, etc. De sorte qu’il devient de plus en plus difficile pour une personne d’adopter une ligne de conduite essentiellement liée à l’élaboration d’une « réponse adaptée » à l’égard de chaque groupe culturel. La meilleure stratégie d’adaptation devient alors de mieux équiper le gestionnaire à reconnaître ses propres limites et à composer avec la gestion de la différence sans égard à son contenu explicite. La plus grande force d’un comportement adapté réside en effet dans sa capacité de généralisation à un nombre indéfini de situations.
Voilà pourquoi il nous semble important de souligner comment le leader doit apprendre à rassembler plutôt qu’à différencier, à transcender la diversité plutôt que de trébucher sur sa complexité. Il s’agit là d’un défi auquel, avouons le, l’école d’administration ne nous prépare pas toujours. Je n’ai jamais pour ma part eu conscience d’un seul processus de sélection orienté vers la valorisation de la différence, de la diversité. Au contraire, la sélection du personnel vise souvent de manière subtile, subliminale, à choisir l’homogénéité. Je n’ai jamais lu une seule offre d’emploi décrivant le candidat désiré comme « une personne pouvant nous remettre en question en raison de son expérience, de ses valeurs, de sa culture ou de sa créativité ». La différence, lorsqu’elle n’est pas désirée, devient alors un élément avec lequel il faut apprendre à composer en espérant qu’elle n’est pas trop dérangeante. Il en est de même pour ce qui est des programmes de formation à la résolution de conflits personnels dans l’entreprise. Pourtant, sans être un thérapeute, le gestionnaire devra, dans un contexte de diversité, connaître et gérer les aspects relationnels en jeu dans le milieu de travail s’il désire assumer le rôle de leader et de rassembleur.
Le chef américain Long Standing Bear Chief raconte comment dans les tribus indiennes les leaders étaient choisis d’abord pour leur sagesse, leur maturité et surtout leur capacité de comprendre la Voix du peuple. Très rarement, lorsque les circonstances l’exigeaient, le peuple décidait d’élire un chef guerrier pour défendre le territoire. Ce leadership « héroïque » était alors considéré temporaire et ne survivait pas à la situation de crise. On ne considérait pas ses capacités tactiques ou stratégiques comme des atouts majeurs dans la conduite des affaires « ordinaires ». La connaissance de soi et le sens du service, la capacité d’écoute et la capacité de prendre des décisions en tenant compte du plus grand bien de l’ensemble constituaient l’essentiel de ce qu’on attendait de lui.
À ce titre, ce que nous retenons de leaders tels Martin Luther King, John F. Kennedy ou Nelson Mandela est leur capacité de parler au nom de tous, de reconnaître la diversité et même de la défendre au nom du besoin de la transcender pour le bien commun. Cette aptitude à transcender la diversité tient, chez le leader accompli, à son besoin de nourrir et de respecter la VISION qu’il a de ce qu’il veut accomplir et son goût de la partager dans une action concertée.
Gérer la diversité : l’essentiel derrière l’anecdotique
Pour y arriver, il doit apprendre à gérer la diversité à tous les niveaux tout en demeurant présent et à l’écoute de lui même. Lorsque nous définissons la diversité comme un contenu, tel un comportement ou une croyance étrangère à nous mêmes, il devient plausible de penser qu’une bonne connaissance de l’AUTRE CULTURE pourrait nous permettre de mieux gérer nos rapports avec elle. Cette approche est essentiellement stratégique et ne saurait être efficace que superficiellement. L’approche que nous adoptons est plutôt multiculturelle en ce sens qu’elle accorde autant d’importance aux différences culturelles qu’individuelles. De plus, elle définit la culture comme un ensemble dynamique et énergétique se manifestant dans les comportements, rituels et croyances d’un individu ou d’un groupe d’individus selon un mode expressif déterminé dans le but de se perpétuer.
La diversité est une danse improvisée. Le gestionnaire doit apprendre à conjuguer sa propre expérience à celle des autres. Il doit d’abord apprendre à devenir sensible aux signaux qui proviennent de sa propre EXPÉRIENCE CORPORELLE, émotionnelle et intellectuelle, et à utiliser ces signaux dans son rapport à autrui. Il n’y a pas de manière artificielle d’accomplir cela. Il doit comprendre l’importance de sa qualité de PRÉSENCE et solliciter celle des autres s’il désire promouvoir autre chose qu’une simple soumission robotique à une mission dont il se sent le seul dépositaire. Le vrai leader est celui qui crée des leaders, le vrai chef est celui par qui tous apprennent à devenir responsables de leurs actions. Le vrai leader est celui qui accepte qu’on le dépasse, qu’on le surprenne et qu’on le complète. Cette expérience de présence à l’autre doit nécessairement se bâtir sur l’expérience du respect mutuel fondé sur une acceptation de la différence, du TERRITOIRE inviolable de chaque personne. Apprendre à gérer ce territoire, c’est apprendre à demeurer présent dans le contact, sans envahir ni se retirer. De la présence et du respect naîtra alors, et alors seulement, une ALLIANCE génératrice de productivité, d’innovations et d’un climat de travail sain.
Gérer la diversité : un attribut du leadership
Thomas Roosevelt écrit à propos du multiculturalisme que gérer la diversité, c’est « gérer des gens qui ne sont pas comme nous et n’ont pas une envie particulière de le devenir. » C’est rassembler une force de travail au delà des différences de valeurs, de statuts, d’expériences. Pour les parents, et pour la plupart des leaders, cela représente un véritable calvaire.
Cela me rappelle mes années de collège. Le profil type de l’élève idéal y était assez clair et l’institution n’acceptait aucune dérogation. Certaines études américaines ont d’ailleurs bien circonscrit les éléments de ce profil. L’une d’entre elles affirme que l’école fut bâtie essentiellement pour des enfants ayant un haut niveau d’intelligence (IQ) doublé d’une déficience en créativité. Les élèves créatifs, comme chacun le sait, sont particulièrement curieux, plus conscients des paradoxes et surtout intraitables quant à leur besoin d’intégrer le contenu scolaire en respectant leur propre cheminement cognitif. Ils étouffent rapidement d’un ennui mortel et tentent de restaurer leur vitalité tant bien que mal en parlant, dessinant, rêvassant. Bref, ils deviennent particulièrement chiants pour tout professeur rêvant de n’entendre, seul écho de son savoir, que le bruit des mouches qui volent. Leur besoin de comprendre dépasse la simple mémorisation : ils veulent réinventer le monde. C’est parmi eux que grandiront les vrais leaders.
Les bons élèves de cette école là ne feront jamais de bons leaders puisqu’ils sont incapables d’autorité. L’étymologie du mot, plus claire dans la langue de Shakespeare, renvoie au fait que l’autorité provient de l’aptitude à être auteur de sa vie (author ity). Avoir de l’autorité, c’est défendre, devant tous, son droit à la différence, c’est réinventer l’expérience qu’on a du monde jusqu’à sentir qu’elle est harmonieuse avec soi ; c’est refuser d’être un acteur, même adulé ; c’est tirer son plaisir d’être le scénariste, le réalisateur et le metteur en scène de sa propre vie et de sa propre excellence. Voilà ce qu’il convient d’appeler un auteur. Reins fragiles : vous abstenir.
Car la créativité, comme à l’école, se nourrit de paradoxes. Non seulement accepte t elle la différence, elle la recherche et la cultive pour mieux grandir dans l’exploration continuelle d’un nouvel équilibre. C’est une danse où la diversité, loin d’être un luxe, est une aventure et une jouissance recherchée.
Pour tous les autres, les bons élèves de la vie, il reste le métro boulot dodo avec l’espoir d’une montre en or pour 50 années de vaillants services. Il reste des galons posés sur la manche, le pouvoir de soumettre comme on a été soumis. Ces gens ont du pouvoir : il provient d’en haut, du professeur, du parent, du directeur, du président, de Dieu. Ils ont un seul ennemi : la diversité, la différence puisqu’elle nuit à l’uniformité et au contrôle.
Le gestionnaire créatif possède, quant à lui, un pouvoir d’une qualité inestimable puisqu’il lui est accordé par ceux qui travaillent avec lui et servent la même vision. Ce pouvoir, qui vient d’en bas, ne peut s’afficher sur une épaulette. Mais il s’affiche dans le plaisir de travailler, de rassembler, de s’avouer parfois vaincu, de demander assistance et de la recevoir. Bref, dans le fait d’être humain parmi les autres et de ne viser qu’une chose : sa propre expansion.
La diversité : l’ennemi à l’intérieur
Nous avons vu comment, lorsque nous désirons traverser la diversité pour la gérer, il est essentiel non seulement de transgresser son contenu superficiel, mais encore d’atteindre le cœur de l’autre pour y retrouver un lieu où la compréhension remplace l’étrange, et la concertation, le rejet. Alors seulement est il possible d’aller plus loin.
Voilà l’histoire de la Belle et de la Bête. Une histoire de diversité, de différence. Une histoire qui parle d’un monstre qui se transforme quand on l’embrasse, lui reconnaissant le droit à la beauté, à l’estime. Cette histoire raconte simplement la force de l’apprivoisement. Mais au fait, c’est beaucoup plus qu’une histoire : c’est le récit de nos propres limites et de nos propres espérances. Le Bossu de Notre Dame, Les Misérables, Scrooge, Jane Eyre, Le Petit Canard, Cendrillon et, plus près de nous Nikita, Léon (The Professional) et une foule d’autres récits racontent la même histoire : celle d’un regard sur la différence. La leçon est toujours la même : la diversité est toujours un leurre, une méprise sur la beauté, sur l’amitié. L’œil qui a peur rejette ; celui qui aime rassemble. Les enfants aiment bien ces histoires car elles leur permettent de mieux saisir la marée de leurs propres élans. Le monstre d’un moment devient la princesse de l’autre ; l’ennemi devient celui qui, demain peut être, nous sauvera la vie.
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