Le paradoxe de l’espoir
En effet, l’espoir nous permet de tenir bon dans des moments de difficulté, de continuer nos occupations tout en attendant des jours meilleurs. De manière générale, l’espoir permet de se projeter dans le futur, de se fixer des buts et de faire des plans.
L’ombre de l’espoir
Mais l’espoir est-il toujours bénéfique ? En y réfléchissant un peu, nous constatons qu’il ne l’est pas. Il y a des situations où l’espoir est utilisé comme un mécanisme de fuite devant la réalité. Pensons au cas d’une femme violentée par son partenaire qui préfère s’accrocher à l’espoir que son amour pour lui le fera changer plutôt que de confronter sa situation pénible et malsaine. Il y a d’autres situations où l’espoir garde la personne dans un monde illusoire dominé par la pensée magique. Par exemple, une personne est convaincue que ses graves problèmes financiers s’arrangeront par la chance à la loterie. Il lui suffit d’investir son billet de pensées entièrement positives, et le tour est joué! Pendant ce temps, elle reste inactive et dans l’attente. Elle ne cherche pas de solutions concrètes et ne met pas d’effort ni physique, ni mental pour opérer un changement.
De manière générale, la face cachée et sombre de l’espoir est qu’il nous amène à déplacer notre sentiment de bonheur dans le futur. L’espoir est habituellement déclenché lorsque quelque chose ne va pas. Nos pensées intérieures suivent ce type de tracé : j’espère que cette situation s’arrangera et lorsque cela arrivera, je serai heureuse. De cette manière, nous abandonnons en quelque sorte la situation présente et ses possibilités de croissance psychologique.
L’autre aspect sombre de l’espoir est qu’il nous enferme parfois dans des solutions prédéfinies, car dans l’état d’espoir, nous avons tendance à définir d’avance l’issue que nous favorisons. Et voilà que nos attentes se mettent en branle! En établissant la solution attendue, nous rétrécissons notre futur et jouons un peu trop de notre contrôle. Nous fermons ainsi la porte à l’inconnu et à toutes sortes de nouvelles possibilités.
Entre l’espoir et le désespoir
Même si nous favorisons l’espoir, il arrive qu’il vacille et que les doutes l’emportent sur notre confiance. Parfois aussi la vie nous met face à face avec un mur, et tout semble bloqué. Lorsque l’espoir nous quitte, que reste-t-il ? Du désespoir ? Pas nécessairement. Il y a un espace d’expérience intérieure qui se situe entre l’espoir et le désespoir, que je nomme le non-espoir. Pour l’illustrer, j’utilise l’histoire suivante extraite du livre Le paradoxe de l’espoir :
Il était une fois un passant qui cherchait quelque chose, par terre, sur une route isolée. C’était le soir et il faisait noir. Un sage vient à sa rencontre, et il demande :
– Que cherches-tu ?
– Un bijou précieux que j’ai perdu.
– Tu l’as perdu ici ?
– Non.
– Alors, pourquoi cherches-tu ici ?
– Parce qu’ici, je suis éclairé par la lumière du réverbère.
Du point de vue symbolique, comme la lumière et l’espoir sont liés ensemble, nous pourrions dire que cet homme veut demeurer sous l’influence de l’espoir dans sa recherche. Mais, est-ce là qu’il trouvera le bijou précieux ? Pas nécessairement. Il y a des situations où il faut s’éloigner de la lumière, car ce n’est pas là que la solution sera trouvée. Cela s’apparente aux espaces de non-espoir, espaces sombres, tristes et souvent solitaires. (1)
Je suggère que lorsque nous rencontrons un obstacle souffrant, nous allons dans un espace de non-espoir à chaque fois qu’une des trois composantes de l’espoir manque à notre expérience intérieure. Il s’agit soit d’un manque de projection dans le futur, ou d’un manque de confiance que l’issue favorable se réalisera, ou encore de l’incapacité à définir une issue favorable à la situation de souffrance qui nous perturbe. Dans les faits, ces expériences sont nombreuses. Elles se retrouvent dans les pertes importantes (d’un être cher, d’un emploi), dans les face à face avec la maladie, les dépendances obsessives, et les changements de phase de la vie, etc.
Le potentiel créateur du non-espoir
Les expériences du non-espoir ne sont pas sans danger. C’est tout notre être, ou une grande partie de nous, qui peut être ébranlé et désorienté. Paradoxalement, c’est grâce à cet effondrement d’une partie ou de la totalité de la personnalité que se présentera un potentiel de reconstruction en une personnalité guérie et agrandie.
L’ego affaibli par les obstacles vécus touche plus facilement aux contenus de l’inconscient. Il sera en contact avec différentes informations sur son passé, ses blessures, ses conflits et son essence. Il pourra alors mieux se comprendre, nettoyer des blessures et renouer avec son essence. Outre l’inconscient personnel, il y a aussi l’inconscient collectif, ce vaste réservoir de connaissances millénaires et d’archétypes, qui aura une influence sur l’ego. Les archétypes peuvent jouer des rôles de guérison et de guidance lorsque nous traversons les grandes étapes de la vie.
« Les expériences de non-espoir sont importantes dans le processus d’individuation, voire nécessaires. (…) Bref, si nous ne rencontrions pas ces expériences, nous continuerions notre vie linéairement, sans remise en question et sans développement important de notre conscience et de notre plein potentiel psychologique, affectif et spirituel. » (2)
Ces réflexions et bien d’autres sont présentées et élaborées dans mon livre Le paradoxe de l’espoir. Vous y retrouverez la présentation et l’analyse de cas cliniques, de mythes et d’un conte. Les termes espoir et non-espoir sont définis de même que les principaux concepts jungiens. Finalement, vous pourrez y lire mes réflexions sur l’attitude à adopter comme professionnels en relation d’aide devant des situations de non-espoir.
Par Françoise A. Cloutier, psychanalyste jungienne.
(1) F. CLOUTIER, Le paradoxe de l’espoir, Éditions Quebecor, Outremont (QC), 2006, p. 10.
(2) Ibid., p. 125-126.
Prochains événements :
Lancement du livre : Le paradoxe de l’espoir, le mardi 30 mai 2006, à 18h00 au Centre St-Pierre, 1212 rue Panet, Montréal. Réservation requise.
Atelier d’une journée : Exploration de l’espace du non-espoir – volet personnel (prévu pour le samedi 17 juin ou le samedi 26 août 2006)
Atelier d’une journée : Exploration de l’espace du non-espoir – volet clinique (prévu pour le samedi 9 septembre).
Pour plus de détails, consultez le site www.apjq.org
ou contactez Françoise A. Cloutier au (514) 935-6584.