Vengeance & Intimité
Cette décision de se fermer, presque totalement inconsciente, restera prisonnière dans la psyché de l’enfant durant son adolescence et jusqu’à l’âge adulte, à moins qu’il n’entreprenne des démarches pour s’en libérer et s’ouvrir à nouveau. L’armure qu’il porte sous sa sociabilité extérieure le rendra indisponible et incapable d’ouvrir son cœur et son esprit à un autre être humain. C’est là le tragique des situations de violence. Adulte, celui qui a été violenté tombera sans doute amoureux, goûtera les plaisirs merveilleux d’une relation nouvelle et excitante, et peut-être envisagera-t-il le mariage. Cependant, à mesure que la nouveauté et la passion pour son nouvel amour s’apaiseront, sa peur latente de l’intimité reviendra s’affirmer. L’amour de sa conjointe, qui lui demandera de s’abandonner, de s’ouvrir et d’avoir confiance, deviendra une menace à l’isolement qu’il s’impose à lui-même. Son conditionnement inconscient considérera ses requêtes comme dangereuse et, peu à peu, il ressentira les attentions de sa conjointe comme des pressions. En réalité, la pression que ressent cet homme n’est rien d’autre que sa propre peur et sa résistance, mais son esprit projette la source de son malaise sur sa conjointe. Il se sent bousculé par sa femme qu’il trouve déraisonnable, et il la bouscule en retour. L’énergie de la colère et de la peur guide ses réactions, ce qui le fait répondre à l’appel de sa conjointe à l’intimité par l’attaque. Il est à l’image de l’homme qui, effrayé par sa propre ombre, la frappe furieusement avec un bâton.
« L’amour de sa conjointe pour lui deviendra une menace
à l’isolement qu’il s’impose à lui-même. »
De pair avec les blessures non résolues que notre homme traîne depuis son enfance vient une accumulation de colère et de frustration que attend d’exploser. La violence d’un parent envers son enfant survient souvent dans des familles dont la généalogie indique que les blessures et la colère non résolues du parent se transmettent à l’enfant par une violence similaire à celle que le parent a subie dans sa propre enfance. Il est interdit à l’enfant d’exprimer son indignation d’avoir été violenté, et il en va de même pour le parent violent. Exprimer sa colère devant un parent violent ne fait que provoquer d’autres violences envers l’enfant, et c’est cette suppression de son expression qui perpétue un syndrome de violence familiale d’une génération à l’autre. La suppression prend parfois la forme de violence verbale, par exemple : « Tais-toi et fais ce qu’on te dit ! » ; à d’autres moments, c’est la violence physique. Dans un cas comme dans l’autre, la violente désapprobation parentale anéantit la capacité d’un enfant de communiquer ses pensées et ses sentiments ; il apprend surtout à enfermer ses émotions au fond de lui-même. Étant donné que les émotions réprimées possèdent leur propre énergie, une énergie qui a besoin d’un exutoire, elles sont soit somatisées et alors dégénèrent en maladie, soit projetées sur l’entourage immédiat. Dans ce dernier cas, le problème peut se manifester chez les enfants par un comportement déviant, vindicatif ou violent, par exemple tourmenter des enfants plus jeunes qu’eux, des animaux, des personnes âgées ou handicapées. Cette suppression des émotions peut aussi se manifester en réponse à toute expression d’amour sous la forme d’un repli passif ou d’un rejet agressif. Dans les deux cas, la peur et la colère sont les émotions sous-jacentes.
« Les émotions réprimées possèdent leur propre énergie,
une énergie qui a besoin d’un exutoire. »
Les émotions bloquées, surtout la colère, sont à la base du pattern de vengeance. La rage réprimée évolue en un ressentiment sans cesse grandissant qui se répand comme un cancer. Une seule mauvaise expérience avec le feu suffit au corps-esprit pour déduire que tous les feux sont dangereux. Il en va de même pour les relations humaines : il suffit d’un seul acte de violence sérieux pour déduire que toutes les relations intimes sont potentiellement nocives, donc à éviter. Il reste que vouloir des relations intimes est un désir naturel chez tous les êtres humains, et la dynamique « tirez-poussez » s’installe dans nos relations. X est attiré par Y et commence à s’en rapprocher (« Tirez »), et juste au moment où X et Y sont sur le point de vivre une intimité réelle, l’un des deux dit ou fait ce qu’il faut pour saboter la relation (« poussez »). Pire, ce sabotage est alimenté par un désir de vengeance pour des actes violents passés, et la colère réprimée que nous portons en nous se tourne contre la personne dont l’amour et l’attention menacent notre isolement auto-imposé.
La vengeance est tout sauf une ouverture du cœur, car elle refuse l’émergence des sentiments sous-jacents liés à des blessures et à l’impuissance au-delà desquelles elle agit. Elle représente plutôt le choix de dominer en restant silencieux, ce qui crée une fausse impression de pouvoir, de force et de contrôle. Elle s’exerce au présent contre des gens innocents qui paient pour des injustices passées avec lesquelles ils n’ont rien à voir. Ainsi, notre conjoint, nos enfants et même nos animaux de compagnie finissent par subir une rage qui était inconsciemment destinée à d’autres. La propension à quitter ou à larguer nos relations est aussi une forme de vengeance : on abandonne les autres, car on a été abandonné. Le dicton selon lequel « c’est à ceux qu’on aime qu’on fait le plus mal » est un pur cas de pattern de vengeance. Sentir les sensations de souffrance passées, sans les dénier ni les projeter sur des gens qui n’y sont pour rien, voilà le seul moyen de briser ce pattern. Pratiquer une respiration consciente profonde, au moment où les sentiments refont surface, mène au pardon. Enrayer ce mécanisme inconscient nécessite courage et intégrité dans nos relations, et se fait dans la communication et l’honnêteté envers soi-même. Le pattern de vengeance est un obstacle majeur à notre réussite dans la vie, dans nos relations, notre carrière, nos finances et même notre santé, et le pardon est la clé de sa guérison.
« On abandonne les autres, car on a été abandonné. »
Toute expression de haine est en réalité la haine de soi projetée sur quelqu’un d’autre. Dans les cas de violence envers les mineurs, l’enfant en vient à haïr non seulement l’auteur de cette violence, mais aussi lui-même. L’agression physique ou verbale qu’il a subie a brisé son estime personnelle et, se voyant comme une victime faible et impuissante, il se sent totalement avili. Quand l’estime personnelle d’un enfant est gravement attaquée, il ne lui reste plus que le mépris de lui-même. Le ressentiment inconsciemment dirigé sur l’ego produit un pattern d’autopunition susceptible de dégénérer en maladies ou en accidents : le ressentiment peut aussi pousser l’enfant à saboter ses projets, ses relations, et à adopter des comportements dangereux et autodestructeurs.
La haine de soi risque de se retourner contre les autres ; sans estime personnelle, l’enfant n’a plus d’estime non plus pour ceux qui l’aiment et le respectent. Non conscient de la cause réelle de son dégoût pour l’intimité, il discrédite tout et envoie paître tous ceux qui l’approchent de trop près. Il utilise la critique constante comme justification de son mépris et de son isolement. Son entourage, qui le trouve indûment cassant, dénigreur et justicier, apprend à garder ses distances. Quand il blesse et envoie promener les autres, il se venge de ceux qui l’ont blessé dans le passé ; il se venge également de lui-même en rejetant ce qu’il désire le plus profondément : l’amour et les relations intimes.
Par Lyse LeBeau et Duart Maclean
Auteurs de « Réveiller le feu intérieur : Relations, leadership et estime de soi »
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