Faire fausse route…
… et ils chercheront longtemps à comprendre tout en se reprochant sans doute de n’avoir rien pu faire ou rien vu venir. Dans son dernier livre « La rupture de contrat », Anne Givaudan apporte un nouvel éclairage sur le suicide. À la manière qui lui est propre, elle est entrée en contact avec des personnes ayant fait ce choix et a pu nous faire partager leurs propos.
Voici un extrait de son livre :
(…) «J’ai peur, horriblement peur de mourir et je ne veux pas que la mort décide pour moi le jour où elle me prendra. »
Elizabeth est à nouveau à mes côtés (…)
« À partir de ce moment-là, me dit-elle, je me suis enfermée dans une bulle de souffrance dont je ne percevais pas l’issue.
Plus personne n’avait d’importance à mes yeux en dehors de ma souffrance et de ma lente avancée vers ma mort. Rien ni personne ne pouvait réussir à m’extraire des pensées destructrices qui m’habitaient.
J’essayais bien, par moments d’ôter ce voile sombre qui m’entourait. C’était hélas sans aucun succès. Tous mes efforts me semblaient vains, ce qui renforçait plus encore en moi ce sentiment d’incapacité et d’inutilité.
Peu à peu, je finis par me croire méchante et sans cœur.
– Et Dieu ou la religion dans tout ça? Est-ce que cela pouvait t’aider un peu? dis-je sans conviction.
– J’ai cru un instant que mes croyances allaient pouvoir me sortir de cet enfer mais je me suis vite rendue compte que ma foi n’était que superficielle et que je ne pouvais me raccrocher à elle.
Qu’est-ce que je savais après tout de ce qui m’attendait? Et puis ce Dieu qui m’envoyait cette maladie « mortelle » comment le considérer comme bon et miséricordieux? Qu’est-ce que j’avais fait pour mériter ça?
Les questions tournaient dans ma tête sans trouver de réponse et chaque jour je m’enfonçais plus avant dans un désespoir sans issue.
Personne ne parlait de maladie mortelle ou de mort autour de moi, mais je voyais, j’entendais ces mots partout.
(…) Mon obsession usait tous ceux qui m’entouraient et je me culpabilisais plus encore d’une situation que je ne parvenais plus à changer. Je me sentais comme un poids pesant sur tous.
Essayant de m’intéresser à ma famille, je me rendais compte que ce qu’ils vivaient ne me touchait plus. Je n’étais qu’une morte en sursis.
Je percevais chacune de mes douleurs, même la plus insignifiante, comme un pas vers la mort et rien ne pouvait me distraire de cela. Ni les amis, ni le temps, ni les distractions ni les marques d’amour, d’amitié ou d’affection ne pouvaient traverser cette coquille sombre dans laquelle je m’étais involontairement confectionné un abri infranchissable.
La peur m’isolait du monde et me mettait dans « mon monde », un monde de souffrance et d’incommunicabilité, d’où toute forme de joie était absente.
C’est ainsi qu’un jour dans « mon monde », je conçus un projet fou : celui de défier la mort.
C’était mon ennemie et je ne voulais pas lui laisser l’honneur de la victoire. Puisqu’elle venait vers moi inéluctablement, je la devancerais, et elle ne m’aurait pas.
Ce projet devenait chaque jour plus précis et je pensais ainsi écarter la peur qui m’habitait tout entière sans voir une seconde que c’est elle qui dirigeait chacun de mes gestes, chacune de mes pensées.
Je développais ainsi les plans les plus machiavéliques avec tous les détails de ma mort avancée et dirigée. C’était, à ce moment-là la seule occupation qui me paraissait digne d’intérêt et qui me faisait paraître plus vivante aux yeux du monde extérieur.
Je ne me plaignais plus, j’étais apparemment plus agréable avec chacun tandis qu’à l’intérieur de moi, le monde qui n’était pas le mien pouvait bien s’écrouler… Je m’en désintéressais. Mon seul espoir résidait maintenant dans le seul geste qui me semblait possible et me libérerait définitivement de cette mort ennemie qui avançait vers moi sans que je connaisse le jour précis où elle me frapperait de son glaive. Je préférais accomplir ce geste moi-même et sans doute cela me donnait-il un semblant de contrôle et de puissance sur un monstre sans visage, qui m’obsédait sans cesse, au point d’en perdre le sommeil et la faim.
Un jour enfin, mon plan fut au point. J’avais prévu les moindres détails et toutes les éventualités ou presque. (…) j’étais persuadée que la peur allait enfin me quitter. Je savourai ce dernier pied de nez que je faisais à cette vie qui ne voulait plus de moi (…) et tandis que la vie peu à peu me quittait j’eus un dernier sursaut, somme si le voile opaque qui m’entourait jusque-là se déchirait enfin.
(…) En quelques instants qui me parurent durer indéfiniment, ma vie se déroula, sans jugement, sans émotion autre que l’Amour et tout à coup je sus…
J’avais fait fausse route, je n’avais pas fini, mon histoire était incomplète, je ne pouvais pas partir maintenant, c’était trop tôt, la vie, ma vie était importante et, comme toute vie, je ne pouvais en interrompre le cours. Le sens du sacré que je n’avais jamais expérimenté jusqu’alors me remplissait à présent comme s’il avait toujours fait partie de moi…
(…)Tout a commencé là où je croyais que tout serait enfin terminé.
La mort n’était ni devant, ni derrière moi, il n’y avait rien, et je pus percevoir, en l’espace d’un instant, mes peurs comme des bulles de savon inconsistantes qui éclataient l’une après l’autre.
Je m’étais construit un monde que je croyais diriger mais qui en fait n’existait pas. Je venais de m’apercevoir que je m’étais trompée moi-même… »
Pour faire suite à la parution de son livre « La rupture de contrat – message des suicidés au monde des vivants », Madame Anne Givaudan donnera une conférence sur le suicide avec la participation de madame Sylvie Ouellet,
le 9 octobre prochain à 19 h 30 à l’Hôtel Universel de Ste-Foy, salle Forges St-Maurice 2.
Prix à l’entrée : 20 $
Information : Lilly Bérubé 654-1404.
Pour en savoir plus sur l’auteure, nous vous invitons à visiter sa fiche sur Alchymed.