Entre la lumière de l’authenticité et l’ombre du mensonge
Comme si la lumière de l’authenticité était trop éblouissante et l’ombre du mensonge, trop attirante. La peur d’être authentiques et différents de leur système, la peur de l’inconnu et surtout la peur d’oser être eux-mêmes les emprisonnaient dans une toile de mensonges qui inhibe l’action et la communication authentique.
Pour avoir connu le mensonge dans ma vie, pour en avoir vécu les séquelles à travers une maladie auto-immune, je suis bien placée pour comprendre ce que j’ai observé chez les autres. Oser être soi-même, oser exprimer ce qui en soi est authentique, nous oblige à croiser le fer avec certains « démons » intérieurs : la peur de blesser l’autre ; la peur de ne plus correspondre à ce que l’autre attend de soi ; jusqu’à la peur de perdre l’amour. Il y a aussi une crainte associée à l’authenticité. Dans notre nature humaine bien conditionnée, nous projetons sur l’authenticité une quête de perfection, une quête de véracité qui nous met en conflit avec le mensonge. Nous tombons dans les extrêmes en voulant dire la vérité à n’importe quel prix, pour être soi-disant transparents. Nous pensons qu’être authentique signifie être transparent.
L’authenticité est un chemin auquel nous accédons par le dépouillement de notre passé, par l’écoute de notre intériorité et par le respect de notre nature profonde. Et pourtant, sur ce chemin-là, nous ne pouvons nier que le mensonge nous a servis, nous a protégés, et que nous l’avons utilisé comme cheval de Troie dans des moments difficiles de notre vie, où sans lui nous avions l’impression d’être démasqués à l’idée d’être nous-mêmes. Le mensonge a plusieurs visages, et certains peuvent à la longue nous heurter. Mentir, c’est aussi « se mentir » ; dans cette expression, le mensonge détruit la communication d’amour envers soi-même et envers l’autre.
Dans mon expérience de vie, j’ai dans l’enfance et l’adolescence entretenu le mensonge pour survivre, pour tenter d’exister dans un milieu que je percevais si différent de moi-même. Un an avant le diagnostic de ma maladie auto-immune, j’ai ressenti le besoin urgent de changer ma vie, ma vie dans laquelle je m’enlisais, mais, plutôt que d’agir, j’ai continué de me mentir à moi-même, me disant : « Ce n’est pas grave. » Je n’ai pas osé être authentique. Alors, le diagnostic est tombé. Et, même atteinte d’une maladie incurable (selon la médecine), j’ai continué de me mentir pour sauvegarder l’apparence selon laquelle « tout allait bien » et que « les autres me sauveraient de la maladie ». Ce mensonge à moi-même a duré quatre ans. Et puis, un soir, voyant l’aggravation de mon état, je me suis retrouvée dans les ténèbres de la souffrance et de la victimisation. J’ai alors eu un éclair de lucidité, un éclair d’authenticité face à tout ce que je vivais : je venais de passer des années à croire que les autres allaient me donner la permission d’être moi-même, des années à leur demander de me sortir de ma difficulté de vivre, mais je continuais de me mentir et de mentir aux autres en croyant que tout allait survenir sans que j’ose être plus authentique. J’espérais que je n’aurais pas à changer. Je m’enfermais dans mon leurre. Ce soir-là, un voile s’est levé et j’ai su que je ne pouvais plus continuer ainsi. Cet éveil a changé ma vie. J’ai cessé de me mentir. J’ai quitté une façade, un masque, pour entrer dans l’authenticité. Devant moi, il y avait l’inconnu ; mais, en moi, j’avais la certitude que ce changement d’état intérieur était la voie vers la guérison.
Mentir aux autres et se mentir à soi est devenu pour beaucoup d’entre nous une seconde peau dans laquelle nous nous réfugions pour donner un sens à nos attitudes, à nos convictions et à nos souffrances. Nous vivons dans une société qui dénonce les mensonges des politiciens et qui exige d’eux la plus grande transparence. Une quête nouvelle semble naître. Nous réclamons la vérité, nous ne voulons plus du mensonge, et souvent, avec horreur, nous découvrons grâce aux médias des histoires de vies détruites par des mensonges pervers, et nous réagissons en stigmatisant les méchants, les mégalomanes. Mais qu’en est-il de notre propre vie ?
Sommes-nous conscients de nos mensonges ou sommes-nous tellement habitués de mentir que nous avons occulté cette posture face aux autres et face à soi ? Nous voulons être vrais, plus authentiques, mais sommes-nous prêts à nous connaître sans « mentir » ? À la vérité, faire advenir l’authenticité dans sa vie passe par la connaissance du mensonge, par l’audace de se connaître dans ses actes mensongers. Il faut oser s’accueillir soi-même dans cette part d’ombre, puisque le mensonge en fait partie. Autant nous avons besoin de nos mensonges comme garde-fous de nos jardins secrets, autant nous jugeons la partie de nous qui ment. Nous nous culpabilisons de mentir, mais nous continuons de mentir par habitude ou sous l’influence d’un milieu familial et transgénérationnel où domine l’art de mentir. Tous ces mensonges font partie de notre identité, de nous en tant qu’êtres humains.
Cela dit, mentir n’est pas une tare, mais nous avons besoin de comprendre le mensonge. Par exemple : qu’est-ce qui fait que je mente ? En quoi cela me sert-il ? Pourquoi suis-je la personne à qui l’on ment ? Y a-t-il un message caché derrière le mensonge de l’autre ?
Le mensonge peut nous servir, en ce sens qu’il peut comporter des gains secondaires inconscients. Entretenir le mensonge peut perpétuer un pouvoir, une forme de domination sur une situation ou sur quelqu’un qui nous fait peur. Dès lors, n’est-il pas important de le comprendre, de nous connaître dans notre art de mentir, pour mieux transformer notre vie ?
Explorer le mensonge, le connaître sans nous culpabiliser et comprendre ses mécanismes est un passage important pour nous redonner la liberté de mentir ou de cesser de mentir. Il n’y a pas de loi ; il y a un choix.
Nous associons le mensonge à la vérité. Toutefois, « dire la vérité » n’est pas nécessairement plus lumineux, car souvent, inconsciemment, nous nous projetons dans cet élan de « la vérité à tout prix », sans connaître le besoin qui se cache derrière cet appel – besoin de reconnaissance, besoin d’être aimé, besoin de nous libérer d’une culpabilité, besoin de dominer, etc. Derrière le fait de « dire la vérité » se cachent aussi des espaces d’ombre appelés vengeance, contrôle, inquisition, dogme, rigidité.
Sur le chemin de l’authenticité, nous ne sommes pas à l’abri de nos petits démons dissimulés derrière le mensonge et la vérité. Or, il est essentiel de connaître et d’accueillir ces parts d’ombre si nous voulons jouir un jour d’une plus grande liberté d’être, d’une plus grande unité intérieure et d’une meilleure communication avec soi et les autres.
Être authentique est une voie d’évolution qui nous permet de découvrir les dimensions profondes de notre vérité intérieure. C’est la voie de l’Être qui est en constante transformation, et il serait triste d’y accoler une rigidité, un dogme, ou même une quête. Sur ce chemin, l’authenticité n’est pas le but. Le but, c’est le chemin lui-même. Sur ce chemin, l’authenticité nous est révélée, elle se dévoile, elle est libre, elle existe au-delà de la pensée binaire – « Je mens ou je dis la vérité » – ou de la pensée ubiquiste – « Je suis sincère ».
Vivre authentiquement est un appel profond qui, par son aspect inconditionnel, nous pousse sur le fil du funambule. Notre élan est l’amour et la bienveillance envers soi-même et les autres.
Introduction du livre « Du mensonge à l’authenticité » de Marie Lise Labonté.
« Du mensonge à l’authenticité » par Marie Lise Labonté publié aux Éditions de l’Homme
176 pages
ISBN : 9782761936354
Date de parution : Janvier 2014
http://editions-homme.com/mensonge-authenticite/marie-lise-labonte/livre/9782761936354