Malade et… heureux?
Qui sont tous ces gens aux parcours extraordinaires et qu’ont-ils à nous apprendre?? En s’appuyant sur leurs histoires et sur des données scientifiques récentes, Lucie Mandeville met en lumière huit attitudes qui favorisent un retour à la santé et qui nous permettent de reprendre notre vie en mains.
Faites connaissance avec les optimistes, les rusés, les bons vivants, les paisibles, les increvables, les fervents, les sociables et les courageux. Ils font la preuve que, même si la médecine peut nous aider à lutter contre la maladie, nous avons un rôle de premier plan à jouer quand il s’agit de retrouver l’équilibre et de nous offrir une vie meilleure.
J’ai mal, tant mieux !
Si la maladie sonne l’alerte lorsqu’il est temps d’une pause réparatrice afin de prendre soin de nous, il est difficile de concevoir que la douleur, elle, soit une bonne chose ! Pourtant, elle a aussi son utilité ! En glissant votre plat dans le four, le dos de votre main effleure la paroi brûlante. Ça brûle ! Vous retirez votre main prestement. Voilà à quoi sert la douleur. Vous mangez un repas mexicain et le soir même, vous ressentez des brûlures d’estomac. La douleur vous informe que votre organisme n’aime pas les plats épicés ou que vous en avez trop mangé ; la prochaine fois, vous ferez plus attention. Vous commencez un entraînement intensif pour perdre du poids. Vous faites le tour du pâté de maisons au pas de course et, en chemin, votre cœur veut exploser, vous arrivez à peine à reprendre votre souffle et vos jambes vous lâchent. Vous réalisez que, pour le moment, la marche rapide est plus à votre portée.
Vous estimez-vous heureux d’avoir mal ? Pas trop, n’est-ce pas ? Nous n’aimons pas la douleur, elle est injuste. Il est rare que nous nous disions : « J’ai mal, tant mieux ! » Pourtant, il semble que la douleur soit vitale. Saviez-vous que les lépreux sont insensibles à la douleur ? Vous vous dites que ce n’est pas si terrible de ne pas avoir mal ? En fait, comme la lèpre tue leurs terminaisons nerveuses, durant la nuit, les rats grimpent sur leurs lits, reniflent prudemment et, nos cellules nous aident à soigner naturellement, ne sentant aucune résistance, ils se mettent au travail et rongent leurs doigts des mains et des pieds ! Cette découverte horrible, le chirurgien orthopédique Paul Brand l’a faite lorsqu’il s’est rendu en Inde pour aider les lépreux. Dans le cas des gens atteints de la lèpre, l’absence de douleur dans leurs extrémités est tragique. Un sort un peu semblable est réservé à ceux qui sont affectés par une maladie pernicieuse nommée « l’insensibilité congénitale à la douleur ». Pour eux, les gestes les plus anodins peuvent conduire à des blessures, par exemple, se mordre la langue en mastiquant ou se brûler au contact du feu. Ces gens doivent avoir un mode de vie strict, et de nombreux métiers ou sports leur sont interdits. Ce n’est pas la maladie elle-même qui finit par causer leur décès, mais les accidents et complications qui y sont liés.
Voilà la preuve que, sans douleur, nous serions en danger continuel. Y pensons-nous de temps en temps ? Quasiment jamais. Lorsque le mal surgit, la première idée qui traverse notre esprit n’est pas « quel privilège ! ». La première chose que nous nous demandons est « par quel moyen puis-je supprimer le mal ? ». Nous sommes devenus, selon l’expression de Norman Cousins, des « poules mouillées » devant la douleur. Celui-ci admettait que tout un chacun peut réciter les noms d’une bonne douzaine de remèdes qui peuvent calmer les affections courantes, du mal de tête aux hémorroïdes. En revanche, rares sont ceux qui savent qu’au moins 80 % des douleurs cessent d’elles-mêmes. Or, le principal problème concernant la « médecine d’analgésiques » dans laquelle nous semblons nous complaire est la peur à l’égard de la douleur, et le danger qui nous guette de nous rendre encore plus malades à force de paniquer.
Mal d’avoir mal
Qu’est-ce qui est pire que la douleur ? Pour le savoir, imaginez que vous êtes très mal en point depuis trois jours, avec des nausées et une fièvre qui ne vous lâche pas, et que l’inquiétude vous ronge. Vous avez mal physiquement. En plus, vous avez mal psychologiquement à l’idée que votre condition si mauvaise perdure! La douleur est la sensation désagréable que vous ressentez dans votre corps, et la souffrance, elle, est la conscience de votre état. Quand vous souffrez parce que vous avez mal physiquement, c’est que vous avez mal d’avoir mal. La souffrance s’ajoute à votre expérience de la douleur physique, ce qui la rend, en quelque sorte, pire que la douleur. C’est ce qui survient lorsqu’un enfant se blesse et qu’après avoir aperçu le regard alarmé de ses parents, il se met à pleurer. Alors, sa souffrance s’exprime.
On dit que la souffrance peut être psychologique, car elle varie d’une personne à l’autre, selon l’attention que chacun accorde aux sensations qu’il éprouve et aux sentiments et pensées qui l’habitent. Plus on focalise sur les sensations de douleur et, par exemple, plus on est inquiet… plus grande est la souffrance. Douleur et souffrance psychologique s’entretiennent mutuellement.
Le médecin américain Milton Erickson expliquait d’autre part que la souffrance psychologique provient de l’évocation de trois sources : les souffrances passées, l’anticipation des souffrances futures et l’expérience des souffrances actuelles. Les deux premières n’existent que dans notre esprit, mais elles représentent les deux tiers de notre expérience. Nous souffrons beaucoup plus parce que notre expérience nous renvoie aux souffrances que nous avons vécues autrefois et à celles que nous craignons d’affronter à l’avenir. Quand nous réussissons à isoler notre souffrance actuelle des deux autres, nous la réduisons au tiers, et elle devient beaucoup plus supportable. Milton Erickson avait lui-même fait l’expérience d’une manière de diminuer sa douleur. Très jeune, on lui avait diagnostiqué une grave maladie, et il ne devait jamais marcher. Or, il a réussi à diminuer les sensations pénibles qu’il ressentait dans ses jambes en visualisant des émotions positives. L’intensité d’une douleur diminuait lorsqu’il évoquait un souvenir qui l’avait rendu heureux ou un projet agréable qu’il comptait réaliser. C’est ainsi qu’il a défié les pronostics et est devenu une figure importante de la psychologie, connue dans le monde entier. Grâce à lui, on sait maintenant que les émotions positives permettent de mieux tolérer la douleur. Une expérience connue consiste à mettre son bras dans l’eau glacée aussi longtemps que possible. Il semble que si nous éprouvons des émotions positives (par exemple, après avoir visionné un film drôle), nous sommes capables d’y laisser notre bras plus longtemps que si nous vivons des émotions négatives. Milton Erickson nous a appris à tolérer la douleur, mais surtout à apprivoiser la souffrance psychologique.
Lorsque nous renonçons à nos regrets par rapport au passé, et cessons de nourrir des inquiétudes devant l’inéluctable, la souffrance devient plus supportable. Mais, encore là, le plus grand défi est de dompter la peur de la souffrance elle-même. À ce sujet, le romancier français Pascal Bruckner déclarait que l’homme d’aujourd’hui souffre de ne plus vouloir souffrir. Il ajoutait que cette tendance allait de pair avec le fait que l’on se rend malade à chercher la santé parfaite. Au bout du compte, et c’est par ailleurs une conclusion à laquelle je suis arrivée, la recherche de la santé parfaite, la peur de souffrir, d’être malade et de mourir, tout ça risque de nous rendre encore plus malades. Quelle étrange obsession !
Malade et… heureux? par Lucie Mandeville, publié aux Éditions de l’Homme
248 pages
ISBN : 9782761939904
Date de parution : Janvier 2014
http://www.editions-homme.com/malade-heureux/lucie-mandeville/livre/9782761939904
https://alchymed.com/auteurs/homme