Les tremblements intérieurs
« Sans cette maladie, je ne me porterais pas aussi bien moralement et physiquement qu’aujourd’hui! »
Ces mots en apparence si simples cachent en fait une réalité fort complexe. Jouir d’une bonne santé nous semble aller de soi, car la plupart d’entre nous naissons avec un corps sain. C’est l’état naturel de l’homme et nous n’avons pas à lutter pour demeurer en bonne santé. Toutefois, lorsqu’il tombe malade, l’homme doit lutter pour lui-même et pour guérir. Ce point est capital. En effet, dans les sociétés occidentales, la médecine traditionnelle a inversé le sens de la lutte. On lutte « contre », et non pas « pour ». On lutte contre les symptômes, contre la maladie, contre l’ennui, etc,; on ne lutte jamais pour soi, mais contre soi. Cette dichotomie n’est pas une subtilité sémantique mais une triste réalité.
J’ai coutume de dire que les cimetières sont remplis de gens qui ont lutté « contre ». Lutter « contre » sous-entend combats et dépenses excessives d’énergie. Cela signifie que l’on va employer ses forces et son temps à livrer bataille à la maladie: on va, par conséquent, concentrer beaucoup de ses moyens à « tuer [/uote] ou à « abattre » l’autre, c’est-à-dire la maladie ou le symptôme. Heureusement, dans le monde des vivants, beaucoup luttent pour eux-mêmes et leur bien-être. Pourquoi est-ce aussi essentiel?
Prenons un exemple. Une personne souffre d’une maladie et désire guérir. Elle consulte un médecin qui lui prescrit des médicaments « afin de l’aider à se battre contre cette maladie »: ces médicaments sont appelés des « anti ». Le patient concentre toutes ses forces pour lutter contre les symptômes de la maladie et, espérons-le, guérir de ces symptômes avec l’aide des médicaments et éventuellement d’autres moyens. Il triomphe de sa maladie et en est très fier, car il a «vaincu», croit-il… Pendant cette courte bataille, où le patient se situe-t-il par rapport à la maladie? Est-il au centre ou à la périphérie? Est-il centré ou excentré? À quoi cela sert-il de se battre contre un mal qui a été engendré par soi-même? Le malade qui a adopté cette attitude, malheureusement légitimée par la façon qu’ont la médecine et la pharmacologie occidentales de concevoir la maladie, sera encouragé à répéter la même erreur lors de sa prochaine maladie et, tôt ou tard, épuisé à ce petit jeu, il «perdra» la bataille.
Cela signifie-t-il pour autant que le patient se trouve tout à coup sans ressource face aux difficultés de la vie ou que son âge ne lui permet plus de se battre avec autant d’efficacité qu’auparavant? Est-ce la marque du vieillissement, du processus de dégénérescence auquel nous sommes tous promis ? Est-ce LA preuve de notre grande faiblesse face « aux choses de la vie [/uote] ou d’un quelconque déterminisme auquel nous serions soumis et duquel, par conséquent, nous serions victimes ? À toutes ces questions, la réponse est « non » !
Présumons maintenant que nos suppositions sont bien réelles, que notre corps est une partie de nous-mêmes, qu’il a besoin d’être respecté et aimé autant que nous le désirons tous au fond, qu’il est investi de la fabuleuse mission (ô combien importante!) de nous parler et de nous dire ce qui se passe à l’intérieur de nous sur un plan moins physique, et par conséquent moins palpable et moins visible. Est-ce si difficile de se l’imaginer? Cette intelligence du corps n’évoque-t-elle rien en vous, non pas sur le plan de la conscience, mais sur celui du savoir profond qui anime notre âme et nous fait parfois dire avec certitude: «je sais que ceci ou cela est pour moi? »
Nous savons tous que nous ne sommes pas que des corps en mouvement, et qu’une autre force nous commande et nous dirige. Notre corps fait partie d’un ensemble beaucoup plus vaste et complexe que notre cerveau, mais à la fois plus simple; plus difficile à expliquer, mais tout aussi réel que la description clinique de ce que la médecine appelle « physique », «psychique » ou « psychosomatique ».
Cet ensemble est doté d’une force, d’une source d’énergie que nous sentons mais que nous n’arrivons pas à décrire, que nous percevons clairement en nous mais que nous avons de la difficulté à palper. Nous savons que cette force obscure et indéterminée a besoin d’amour, de paix, de gentillesse, et non pas de guerres, de batailles à livrer contre de vulgaires virus, bactéries ou autres assaillants. Si cette source de vie est mal en point et nous le fait sentir à travers notre corps, allons-nous punir celui-ci en le forçant à se battre en plus contre lui-même ? Bien évidemment que non. Nous allons plutôt tenter de l’aider, de le panser et de lui apporter tout ce que nous pouvons, afin qu’il se porte mieux et qu’il guérisse. Ce que nous ferions pour tout autre être, nous le ferons pour nous-mêmes. Si nous ne le faisions pas, cela signifierait que nous ne nous aimons guère, que nous ne nous respectons pas, ce qui ne pourrait qu’aggraver notre malaise. Nous adopterons, par conséquent, une tout autre approche fondée sur la douceur, et non sur la lutte!
Que certains des moyens que nous allons proposer demandent l’apport de médicaments n’est pas nécessairement contradictoire, pourvu que cette médication soit utilisée comme accompagnement au traitement, et non pas comme une fin en soi ou comme une béquille en laquelle on placerait tous nos espoirs de guérison. La médication devrait être d’abord proposée, puis appliquée, et non pas imposée à partir de statistiques qui, en niant l’individu, le rabaissent au rang d’une simple donnée. Elle devra tenir compte de la personne, de son environnement et de multiples autres facteurs qui convergeront vers la finalité de l’action, c’est-à-dire le respect et l’amour de soi, afin de rétablir au mieux l’état de santé, ce miroir de l’être. Une approche de la « lutte pour soi «, et non de la « lutte contre soi «, prend alors sa vraie dimension, la seule qui nous fera éviter les erreurs répétées du passé.
La maladie « message», et non la maladie « malchance »
Deux visions s’opposent, diamétralement opposées, qui conditionnent les approches thérapeutiques.
La première approche, de type traditionnel, donne un rôle primordial à la « malchance » et à son cortège d’amis, c’est-à-dire les virus et les bactéries, les cellules à potentiel de croissance anormale, qui sont cause de cancers, par exemple. Ils ont pour alliés les polluants de toutes sortes: la fumée, les mauvaises graisses, le manque d’activité physique, etc. Ces amis et leurs alliés se liguent au hasard de la malchance pour provoquer des symptômes, puis des maladies que le patient devra terrasser et combattre par des médicaments, dans le but de guérir ou, du moins, d’obtenir une rémission… jusqu’à la prochaine série de malchances. Jusqu’au décès du malade.
Cette ligne de vie, cette vision ne laisse aucune place à l’individu, à l’être. Elle est très réductrice à mes yeux. En effet, elle prend l’homme pour ce qu’il n’est pas: une machine à vivre, à souffrir et à mourir, subissant le monde extérieur et luttant contre lui ou ce qu’il a de néfaste. La vie devient alors une lutte pour la survie, tout en sachant que le combat est perdu d’avance. Le seul mystère reste de savoir quand l’homme va perdre son combat et disparaître de ce monde. Quelle tristesse!
La deuxième approche, vers laquelle, vous l’aurez deviné, va ma préférence, est celle qui tend à démontrer que la maladie n’est qu’un signe donné par notre meilleur ami: notre corps. Celui-ci tenterait de nous parler à travers les symptômes et la maladie. Selon la pertinence du message transmis et notre capacité d’écoute, l’intensité des symptômes va soit diminuer, soit s’éteindre ou, au contraire, s’amplifier. Capter et comprendre le message est donc la première étape à franchir, sans quoi aucune guérison n’est réellement possible. La seconde étape consiste à prendre en compte ce que notre corps nous dit, mais pour cela il faut considérer notre corps comme un allié plutôt que comme un obstacle. Il faut le regarder comme un ami sincère qui nous encourage à changer, à évoluer, et la maladie devient alors une aide précieuse nous permettant de progresser vers le mieux-être. Cette approche ne tient donc pas compte du hasard, puisque l’homme est responsable de sa maladie et détient les clés de sa guérison. Il est le rouage principal, le moteur de la mécanique, ce qui sous-entend qu’il est beaucoup plus qu’un simple assemblage de cellules et de micro-organismes. En fait, l’homme possède une force fabuleuse, impalpable, non quantifiable, invisible, qui le fait vivre ou… mourir. La découverte et la reconnaissance de cette force intérieure sont une chose merveilleuse, et les maladies dont l’homme souffre peuvent devenir des amies porteuses d’espoir, et non des ennemies.
Une de mes patientes, Laura, âgée de 24 ans, mariée depuis quelques années et mère de deux enfants, est une femme plaisante et vive. Elle souffre d’hypothyroïdie et présente un goitre. Réfractaire à une médication de longue durée, elle est venue me consulter afin de savoir si une approche « non chimique » pourrait se révéler tout aussi efficace que l’approche traditionnelle.
Pour la médecine traditionnelle, les causes de la maladie peuvent être multiples, allant de l’hérédité à la carence en iode, ce qui, d’ailleurs, était assez fréquent dans les régions montagneuses au début du xxe siècle, et plus récemment à la suite de la catastrophe de Tchernobyl. Une fois le diagnostic posé, après une série d’examens sanguins et radiologiques, un médicament est ordonné pour une très longue durée, pour ne pas dire à vie… Laura arrive à la clinique dans un état d’angoisse assez avancé: elle sait de quoi elle souffre, connaît le traitement qui lui a été ordonné, «sans lequel [son] goitre et [ses] symptômes ne peuvent que s’aggraver», de même que ses effets secondaires. Quant à la cause de la maladie, l’histoire familiale et les autres tests n’ayant apporté aucun élément positif, le médecin spécialiste a laissé la patiente dans l’ignorance la plus complète… Les méthodes de l’approche traditionnelle ont traumatisé Laura, car cette dernière craint maintenant sa maladie et, surtout, ne comprend pas comment elle l’a développée.
Je lui ai demandé de me dire depuis quand elle en souffrait et de mettre ce moment en relation avec un événement qui l’avait alors traumatisée ou ébranlée. Après quelques minutes de réflexion, la réponse fuse: « Depuis le moment où j’ai réalisé que ma vie de couple était insatisfaisante ! » La cause de la maladie étant trouvée, il a suffit de s’y attaquer pour que le goitre disparaisse, ainsi que la symptomatologie associée, et ce, sans traitement médicamenteux, hormis quelques oligoéléments et vitamines en guise de soutien. La régression s’est faite en trois mois seulement…
Lors des consultations, il s’est révélé que la patiente, sachant parfaitement s’affirmer à l’extérieur de la maison, n’était plus qu’une pâle imitation d’elle-même en présence de son mari, s’effaçant complètement et ne pensant plus qu’en fonction de lui, de ses enfants et de ses devoirs. La prise de conscience de cette réalité et, surtout, le fait de s’être de nouveau autorisée à exister à l’intérieur du couple ont permis la guérison (et non la rémission) de cette maladie. La patiente vit très heureuse depuis et, malgré un divorce inévitable à la suite du refus du mari d’accepter sa femme telle qu’elle est réellement, Laura m’a dit dernièrement cette phrase fabuleuse, entendue souvent de la bouche de patients ayant guéri de leurs maux: « Sans cette maladie, je ne me porterais pas aussi bien moralement et physiquement qu’aujourd’hui! » Cette remarque est fantastique, car elle contient à elle seule tout ce qui a été et pourra être dit au sujet de la santé et de la maladie. En tant que médecin, c’est le plus beau compliment que l’on puisse me faire, et c’est celui qui me touche le plus profondément. Aider un patient à retrouver sa dignité de femme ou d’homme, l’aider à rétablir son équilibre personnel et sa propre valeur est une des plus belles choses au monde!
Ce texte est tiré du livre « Les tremblements intérieurs » du Dr Daniel Dufour, publié aux éditions de L’Homme. Pour en savoir davantage, nous vous invitons à vous le procurer.