La Petite Souris qui décide de changer de Vie…
Surprise ! Sans que la Voix n’ait eu à parler, elle est déjà rendue dans une belle petite cabane à hirondelles. La mère hirondelle vient de pondre un petit œuf, c’est elle qui entre dans ce petit œuf tout chaud, tout douillet.
Quelle sensation que d’être dans un œuf, d’être uniquement un embryon d’oiseau ! C’est très spécial car, à sa naissance de souris, sa mère la portait à l’intérieur de son ventre avec tous ses frères et sœurs souris ; tandis que, là, elle a sa place dans l’œuf tout au fond du nid que sa mère garde bien au chaud. Elle a une sensation de bien-être, de paix, de sérénité. Elle sait que c’est une nouvelle Vie qui débute.
Elle prend le temps de se reposer, de savourer, d’apprécier la chaleur et l’amour de cette maman hirondelle. Elle sent son minuscule petit corps, qui se développe par toute cette douceur, ainsi que la coquille qui, pour elle, représente la protection. Elle est tellement heureuse d’avoir eu cette chance que, même de l’intérieur de l’œuf, par télépathie, elle remercie le Créateur de lui avoir offert cette chance de choisir sa nouvelle Vie, sa transformation, d’avoir eu le support et l’aide pour effectuer la transition. Elle vibre de bonheur. C’est tellement intense que la maman hirondelle sent cette vibration et va même regarder si tout va bien pour ce bel œuf.
À tous les jours, le développement de son petit corps se poursuit. Ses petites pattes si minuscules, ses petites ailes sans plumes prennent forme. Il n’y a pas une seule journée au cours de laquelle elle oublie de remercier le Ciel pour tout. D’avoir la perception du développement, d’apprécier cette magie et cette puissance, qu’à partir d’un œuf fécondé il puisse y avoir le développement d’un corps, de voir, de constater qu’à chaque instant il y a une transformation, c’est extraordinaire d’en être conscient ! Quel merveilleux cadeau !
Le temps d’éclore arrive très bientôt. Elle a hâte de connaître sa nouvelle mère et le nombre de membres de sa nouvelle famille. Tout semble si douillet. Elle commence avec son petit bec à tenter de percer sa coquille ; elle est tellement pressée de naître qu’elle picote en espérant que sa mère viendra l’aider à la briser. Celle-ci l’entend, la ressent sous son ventre, mais le temps n’est pas encore venu. Elle aussi a hâte de voir ses enfants, de les nourrir, de les entendre crier et tenter de chanter. Pour la mère, cela lui prend aussi la patience d’attendre le temps pour chacun de recevoir le temps nécessaire à la formation de son petit corps.
Mais notre Petite Souris, qui vient de changer de Vie, a vraiment hâte de renaître en hirondelle. Aujourd’hui, c’est le grand jour. Elle réussit à percer sa coquille. Sa mère l’aide à terminer de l’ouvrir. Elle voit la lumière, une mère heureuse, un nid très douillet, d’autres œufs dans le nid. Elle est malhabile avec son nouveau corps couvert seulement d’un très léger duvet, tout maigrichon, sans équilibre, mais avec une mère qui vient la réchauffer de son amour. « Quel bel accueil pour un être vivant, se dit-elle, et, encore une fois, merci ! »
Les jours passent, ses frères et sœurs ont tous vu le jour, cette lumière. C’est la coquetterie de leur maison bien décorée par leurs parents. Chaque jour, Papa ou Maman Hirondelle apporte à manger à la famille. La mère donne un nom à chacun de ses enfants, celui de Petite Souris qui a décidé de changer de Vie est Audacieuse.
Audacieuse est si empressée de s’envoler, d’expérimenter, d’utiliser toutes les forces qu’elle a développées en tant que souris que, à peine éclose, elle va sur le rebord de l’ouverture de la maison pour voir au dehors. Elle est la plus précoce de tous les membres de sa famille, elle veut voler. Sa mère lui dit :
– Audacieuse, regarde, ton duvet est encore trop mince, laisse grandir tes plumes. Avec des bonnes plumes sur ton corps et tes ailes, c’est beaucoup plus facile de voler. Sois patiente ! Ne t’inquiète pas, tu voleras très bientôt. Actuellement, c’est trop dangereux.
– Maman, je veux voler… Je suis capable… S’il te plaît, laisse-moi faire…
– Non ! Regarde ! Il y a des prédateurs qui ne demandent pas mieux que de savourer de la belle petite chair fraîche comme toi. Tu as certainement vu, depuis que tu es sortie de ta coquille, Gros Chat. Tu sais qu’il vient tous les jours au pied de notre logis, espérant qu’un de mes petits tentera de voler sans être prêt. Lui, il est prêt à s’offrir un régal. Je ne veux pas que tu lui serves de repas.
L’air un peu triste, Audacieuse réplique :
– Mais quand, d’abord ?
Maman Hirondelle ne répond pas. Elle part à la recherche de nourriture pour toutes ses petites bouches à nourrir. Audacieuse regarde par la porte, elle voit très bien que Gros Chat est là. Il miaule. Voici ce qu’il dit aux petites hirondelles :
– Bonjour les amies… Avez-vous le goût de voir comme il fait beau à l’extérieur?
Les petites hirondelles continuent de parler entre elles. Il y a uniquement Audacieuse qui l’entend ou le remarque car, elle, elle a hâte de s’envoler, d’aller à l’extérieur. Gros Chat sait très bien que, dans chacune des familles, il y en a toujours des plus fonceurs que les autres.
– Miauw… Vous n’avez pas le goût de vous envoler ?
Audacieuse sort la tête de la maison. Gros Chat est très content, car il croit qu’il va réussir à la faire sortir. Puis, s’il réussit, il aura un bon repas tout frais, tout chaud. Il continue à essayer de la faire sortir pour qu’elle tombe. Il sait très bien que si Maman Hirondelle voyait cela, il passerait un mauvais quart d’heure. Les mères et pères hirondelles deviennent très malins lorsqu’ils voient que quelqu’un peut tenter quelque chose contre leurs petits. Ce que Gros Chat ne sait pas, c’est qu’Audacieuse se souvient très bien comment il est patient et rusé, car elle a toutes ses mémoires de Vie de souris.
Comme elle ne peut pas encore voler, elle utilise ce temps pour se remémorer sa Vie de souris en cherchant quelles qualités cela lui a permis de développer. Elle se souvient très bien que la Voix lui ait dit que cela l’avait aidée à développer la débrouillardise. Elle continue l’examen de son ancienne Vie. Voici ce qu’elle découvre d’elle-même :
Observatrice, puisqu’elle devait avoir l’œil assez rapide pour se trouver une cachette lorsqu’il y avait un prédateur qui la poursuivait ;
Rapide, en plus d’observatrice. Il lui fallait certainement la qualité de rapidité et même plus, celle d’être très agile ;
Astucieuse, car elle devait trouver des astuces pour pouvoir trouver à manger ;
Audacieuse, comme sa mère l’a surnommée, puisqu’il lui fallait de l’audace pour aller chercher le fromage dans la trappe à souris ;
Curieuse, puisqu’elle est parfois tombée dans le sucre et dans la farine pour goûter ce que cela devait être. Cela ne lui a pas permis de découvrir uniquement des aliments, mais bien d’autres choses ;
Courageuse, pour avoir su traverser plein d’embûches, d’épreuves, de souffrances, de blessures autant au point de vue émotionnel que physique.
Audacieuse, maintenant, apprécie les forces qu’elle possède. Elle est fière d’elle-même. Elle désire maintenant utiliser la peur qu’elle a vécue durant sa Vie de souris comme force. Elle observe comment elle va utiliser cette puissance si grande.
Aujourd’hui, elle a peur de se laisser tomber dans le vide, car Gros Chat est toujours là qui l’attend. Elle sait que les Gros Chats aiment manger les petits oiseaux, comme ils aimaient attraper les souris, les faire mourir et ensuite les présenter à leurs maîtres comme un trophée. Elle voit la peur comme prudence et aussi comme puissance qui peut propulser ou arrêter. Aujourd’hui, elle prend le temps de bien apprendre sur la peur.
Audacieuse rentre dans sa petite maison ; Gros Chat se rend compte qu’il vient de perdre le repas qu’il croyait avoir réussi à s’attirer. Mais non, ce n’est pas pour aujourd’hui.
Voici ce qu’Audacieuse prend le temps d’observer : même si elle est très jeune, elle est déjà très sage car, pour avoir ce type de comportement, normalement, on doit avoir vécu plusieurs expériences pour décider de s’arrêter et de faire le point. Audacieuse se souvient de son autre Vie et décide de mettre en application toute cette sagesse dès le début de sa nouvelle Vie. Elle pense… plus aucun bruit ne la dérange, elle n’entend plus Gros Chat, qui tente de l’attirer de nouveau, elle n’entend plus ses frères et sœurs, qui discutent, elle est dans son petit monde intérieur et prend contact avec toute sa puissance intérieure, les peurs. Comment déceler les bonnes peurs, celles qui apportent prudence, prévention ? Si je vois un obstacle qui arrive sur moi, je dois utiliser la peur pour m’enlever de là avec la plus grande rapidité possible ; ça, c’est une peur très utile. Tandis que si j’utilise mal cette peur, elle me paralysera ; donc, je me ferai frapper. Gros Chat aussi peut m’éveiller des peurs, c’est un danger, vu qu’il veut me manger ou me déguster. Si je me jette en bas, c’est comme d’aller me placer devant un camion ; puis, si j’attends, l’expérience de voler, je la retarde. Ai-je peur de tomber, de me faire mal, de me faire dévorer ? De quoi ai-je vraiment peur ? …
La question reste en suspens puisque sa mère vient d’arriver pour nourrir sa belle petite famille. Audacieuse va rejoindre les autres et mange avec appétit ce que sa mère lui donne. Comme toutes les bonnes mamans, la mère d’Audacieuse remarque que sa fille est bien soucieuse. Elle devine très bien qu’elle a hâte de voler. Après le repas, elle invite sa fille dans un petit coin de la maison, car elle ne veut pas éveiller chez les autres membres de sa famille le goût de l’aventure. Pour une mère, c’est bien inquiétant de voir ses petits se placer dans des situations plus difficiles.
– Qu’y a-t-il, ma fille ? … Tu m’as l’air bien soucieuse…
Audacieuse n’a pas eu la chance d’être mère dans son autre Vie mais, quand même, elle sait bien qu’une maman est très souvent inquiète de ses enfants, surtout lorsqu’ils sont songeurs. Et c’est son cas, à elle, actuellement.
– Bien, maman, je veux voler. J’ai hâte de déployer mes ailes, d’aller me balader au Soleil et lui dire bonjour, d’aller voir les fleurs de là-haut. Comme cela doit être beau ! J’ai hâte d’apprécier toute la beauté qui nous est offerte, d’aller me percher sur les branches des arbres.
Sa mère la regarde avec un œil de fierté et, en même temps, d’inquiétude. Ce petit Être avec ses petites plumes si légères et si fragiles, qui parle comme un oiseau de grande expérience. Elle est fière de voir que sa fille apprécie déjà la Vie mais, inquiète, car elle démontre un goût très prononcé pour l’aventure. Pourtant, elle sait très bien qu’aimer son enfant, c’est le guider, c’est-à-dire l’informer du danger et des conséquences de certains gestes, sans jamais tenter de le retenir afin qu’il puisse vivre ses expériences car, tôt ou tard, il les vivra et peut-être même avec plus de difficultés.
– C’est drôle que tu sois ma fille. Tu dégages tellement de sagesse que parfois, à t’entendre, je croirais que tu as plus de vécu et d’expérience que moi. Pourtant, cela n’est pas possible puisque tu viens de naître.
Audacieuse comprend très bien ce que sa mère veut dire, car elle se souvient de toutes ses expériences de Vie comme souris, c’est ce qui lui apporte plein de connaissances, le goût de la découverte et, surtout, celui de l’aventure.
– Maman, j’ai hâte d’entendre la mélodie du vent dans les feuilles et les fleurs, c’est tellement joli. Moi, je pourrais même me placer comme un chef d’orchestre et tenter de diriger tout cet orchestre naturel car, d’après moi, c’est ce que nous devons être, des chefs d’orchestre de la nature puisque nous, les hirondelles, portons des coats-à-queue en permanence.
Sa mère éclate de rire. Elle rit tellement fort que cela a un effet d’entraînement sur toute la famille, même que Papa Hirondelle, reconnaissant le rire joyeux de son amoureuse, arrive à grande envolée afin de partager cette joie si mélodieuse. Audacieuse ne sait pas ce qu’elle a dit de si comique, mais elle-même ne peut s’empêcher de rire. C’est beau de les entendre ; cela attire même l’attention des gens qui passent dans le quartier et éveille en eux une joie de vivre sans qu’ils ne réalisent vraiment pourquoi.
Le père demande à sa partenaire ce qu’il y a d’aussi joyeux pour rire avec autant d’éclats.
– Tu sais, chéri, nous avons une enfant merveilleuse. Elle a décrit notre espèce comme des chefs d’orchestre de la nature puisque nous portons tous des coats-a-queue.
Papa Hirondelle se met à rire ; il va trouver sa fille et la place sous son aile pour lui faire une caresse, lui offrir une tendresse. Il lui demande :
– Toi, qui es si jeune, comment fais-tu pour nous offrir de si belles comparaisons puisque tu n’es jamais sortie de ton nid ou, plutôt, de la maison familiale. Je ne sais pas, mais tu as l’air tellement différente des autres ; pourtant, physiquement, vous vous ressemblez toutes. Mais toi, c’est ce que tu représentes, ce que tu dégages. D’où viens-tu ?
Maman Hirondelle, les frères, les sœurs, Papa Hirondelle, tous sont tournés vers Audacieuse. Elle ne sait que répondre, car elle n’est pas certaine s’ils vont comprendre, si elle le leur explique, ce qui lui est arrivé. Elle hésite un peu et pense intérieurement : « Ils peuvent me croire, ils peuvent rire, mais ce qui est important c’est que, moi, je le sais. Quel droit me permet de douter de leur capacité de comprendre ? Je ne peux pas les sous-estimer, car uniquement eux pourront savoir ce que cela représente de vrai ou de faux pour eux-mêmes. Comme je n’ai pas besoin d’attendre d’être aimée, je n’ai absolument rien à perdre de le leur expliquer.
Toute la famille a hâte d’entendre ce qu’elle a à dire. Audacieuse, bien collée à son père, leur raconte sa Vie de petite souris, la Voix, son choix, les raisons de son choix ; elle n’oublie aucun détail. Tous l’écoutent avec attention, même Gros Chat, qui est en bas, entend toute l’histoire. Aucun n’ose faire de bruit, car c’est tellement intéressant et enrichissant. Lorsqu’elle termine son récit, tous chantent pour la remercier de la confiance qu’elle a eue de leur raconter dans les moindres détails sa dernière Vie. Aucun ne doute de son histoire, car chacun a ressenti le vécu d’Audacieuse, chacun d’eux ; cela est venu réveiller des points de mémoire, cela les ramène vers leur sagesse intérieure. Papa et Maman Hirondelle sont fiers de cette belle famille qui les a choisis.
Maman Hirondelle s’adresse à Audacieuse :
– Je sais que tu as beaucoup de sagesse, que tu désires prendre ton envol, mais regarde tes ailes, tes plumes, et regarde les miennes. Tu vois que les tiennes manquent beaucoup de solidité. Attends, j’aurais tellement de peine de te perdre si jeune. Puis, n’oublie pas que, si tu te lances, peut-être que tes frères et sœurs auront le goût de te suivre. Attends encore un peu.
– Maman, j’ai hâte de voler. Pour ce qui est de mes frères et sœurs, je ne suis pas responsable de leurs gestes. C’est eux qui vont décider pour eux, mais pas moi.
– Tu sais, ma grande, qu’ils peuvent avoir le goût de t’imiter.
– C’est certain, maman. Mais ils peuvent aussi avoir le goût de ne pas faire comme moi. C’est uniquement eux qui le savent.
– Je te demande d’attendre.
– Maman, je ne te le promets pas, car je t’aime trop, et je m’aime aussi. Je ne voudrais pas me sentir coupable de te dire que je ne le ferai pas, puis qu’un jour la tentation devienne trop forte et que je me risque.
– Tu sais qu’à chaque fois que je vais partir vous chercher de la nourriture, je vais m’inquiéter, car je ne saurai jamais si je vais te revoir.
– Maman, tu ne sembles pas avoir confiance en mon premier envol.
– Ce n’est pas la première fois que j’ai des enfants. Puis, à chaque saison, j’en ai eu des très jeunes qui n’ont jamais pu survivre à l’envol. J’en ai eu qui ont été mangés par Gros Chat, d’autres qui se sont cassé le cou puisque leurs ailes n’étaient pas assez fortes pour bien voler. Chaque fois, cela me peine de voir qu’ils ont eu la force de naître, mais qu’ils n’ont pas eu la chance d’apprécier la beauté de la Vie.
– Maman, peut-être étaient-ils dans ta Vie pour te faire apprendre le détachement ? Peut-être qu’eux ont eu la plus merveilleuse des Vies. Tu sais, seulement toi et papa, vous êtes tellement beaux. Je suis heureuse d’être dans cette si jolie famille. N’aie pas peur pour moi, car c’est à toi que tu fais du mal lorsque tu t’inquiètes. Aime-toi assez, maman, pour ne pas te faire de mal et avoir confiance en ceux qui te choisissent.
– Je te redemande d’attendre.
Papa Hirondelle, jusque-là, écoute la conversation tout en restant avec tous les autres oisillons. Il regarde Audacieuse et dit :
– Ma fille, peux-tu acquiescer à la demande de ta mère ?
– Papa, je ne vous promets rien. Je vous aime assez pour être vraie avec vous.
Les parents sont un peu peinés de la demande mais, en même temps, ils admirent leur fille de ne pas se laisser manipuler par les peurs ou les craintes des autres.