La justice à fleur de peau
Très jeune, je fus confrontée à la réalité des classes sociales. Aussi loin que mes souvenirs m’amènent, ces grands écarts dans les conditions de vie m’ont vivement interpellée. Au respect initial qu’inspiraient cette élite et ses avoirs se mêlait une incompréhension devant la surabondance des uns et l’insuffisance des autres.
L’insoumission fait partie de moi, m’habite, aussi assurément que l’air que je respire. Ces lunettes, cet œil de faucon comme dirait un de mes ex collègues, je ne peux les laisser de côté et taire cette indignation qui se soulève au quotidien devant les trop nombreuses manifestations d’abus de pouvoir et manipulations du pouvoir politique et financier.
Le domaine de l’intervention sociale fut l’occasion de m’impliquer à ces changements auxquels je croyais, comme l’a cru, une fois de plus, toute une génération. J’aspirais donc à m’associer à la poursuite des possibles rêves des années 70. Mais vite je m’aperçus que certains acquis sociaux, que l’on nous faisait passer comme le fruit d’une lente et longue évolution de l’humanité, n’étaient en fait que des concessions accordées par le pouvoir résultant d’une savante stratégie dont les objectifs étaient, dans les faits, bien éloignés des buts avoués. Leurs courtes durées en font foi, de même du retour en arrière qui s’est indéniablement effectué depuis, entraînant les répercussions que l’on connaît.
En ai-je assez vu de cette médiocrité dans laquelle on nous tire, en ai-je assez entendu de ces faussetés érigées en certitudes toutes scientifiques, en aurai-je également assez lu de ces théories ronflantes qui, les unes après les autres, se gonflent de vanités, se gargarisent de suffisances? Me serai-je assez assise en comités de toutes sortes à pondre l’inutile, à entretenir les mensonges et me farcir de futilités? Je ne recherche pas le pur et parfait, j’aspire à l’humainement et l’éthiquement acceptable.
Après toutes ces années d’implication dans le domaine de l’organisation communautaire, ici et à l’étranger, auprès d’associations et d’institutions tant québécoises qu’étrangères, de séjours plus que formateurs parce qu’éloignés des sentiers battus, pour reprendre l’expression consacrée, il me fallait dénoncer les trop nombreuses prétentions, les incalculables contradictions d’un milieu où les privilèges personnels et professionnels et d’évidents conflits d’intérêts limitent l’analyse de la réalité. Il m’importait donc plus que tout de témoigner. D’autant plus que la distance prise par rapport à la société québécoise, au fil de mes séjours à l’étranger, me confrontait à une réalité décevante, une situation qui s’était lamentablement détériorée. Sur tous les plans, tant social, économique que culturel, elle me plaçait devant les désillusions de cette froide et implacable modernité.
Ne pouvant donc me résigner à garder sous silence le fruit juteux, mais amer, d’une expérience aussi enrichissante que désespérante dans le domaine de l’intervention sociale et des communications – au Québec, puis en Afrique et en Amérique du Sud en tant que coopérante – je me devais de dénoncer l’imposture, l’hypocrisie, la manipulation du pouvoir financier et politique auxquelles cette expérience me confrontait. Une manipulation telle que nous ne pouvons prétendre à la liberté proclamée. Elle nous a insidieusement amenés à faussement associer la liberté du Marché à la liberté individuelle — la consommation au bonheur — les États de droit, institutions et lois à la légitimité et à la justice — le multipartisme à la démocratie — l’éducation au savoir — la médecine à la santé — les recherches scientifiques à l’objectivité, la vérité et l’infaillibilité — la richesse au respect — la religion à la moralité — la gauche au possible… C’est donc à travers ces différents thèmes que l’exploitation et les abus de pouvoir, dont nous sommes indéniablement l’objet, furent abordés. Ni plus ni moins qu’une variation sur le thème de l’imposture.
De plus, il m’apparaissait majeur de rappeler certains faits relatifs à la planification de maître, que plusieurs tentent de ridiculiser en parlant de complot, qui a permis la consolidation de cette hégémonie économique qui, opérant sous le couvert du politique, allait graduellement devenir la dictature la plus totale de l’histoire de l’humanité
L’objectif qui m’a animée et que j’ai poursuivi tout au long de ce témoignage fut donc alimenté par ce besoin de vous parler de mon indignation face au pouvoir ultime que s’est arrogé le Capital, et à ses répercussions désastreuses dans toutes les sphères d’activité, dont celles les plus vitales. De vous entretenir de cette mainmise du Capital qui nous a conduits à la plus grande dictature de tous les temps, parce que planétaire, parce que promue à partir d’une pensée unique érigée en vérité absolue et vénérée, accréditée, légitimée par l’infaillibilité de la science et de la technologie, ces nouveaux dieux des temps modernes. Une dictature odieuse en ce qu’elle s’appuie sur la prétention de principes démocratiques qu’elle bafoue. Perfide en ce qu’elle manipule tous les outils démocratiques à son profit. Prétention qui justifie ses croisades pour la liberté. La liberté… unique et illimitée du Capital.
Cette dictature est sournoise. Elle nous a soumis, et ce plus que jamais, à une manipulation sans précédent. Elle a fait de la manipulation un outil de récupération et de contrôle redoutable. Elle l’a portée au sommet de l’art. L’art de nous faire adhérer à des principes et des vertus qu’elle se garde bien d’appliquer. L’art de les imposer à la planète. L’art de détourner, de tromper, de corrompre. Et de nous faire adopter ses valeurs (sic) profondément antisociales. Compétition effrénée, rentabilité obsessive, cupidité insatiable sont ainsi portées au niveau de la démesure, et en leurs noms, toute considération éthique est bannie. Cette notion de manipulation est majeure en ce qu’elle s’oppose directement à notre intégrité, à notre liberté sur laquelle s’assoie cette prétendue démocratie, éternel mythe, étendard brandi et repris au service de l’édification de nos sociétés occidentales. Je m’en ferai le porte-à-faux plus que le porte-étendard.
L’influence du Capital est totale. Mon intention est donc de relever la soumission incontestable de nos États de droit, de la société civile et de l’ensemble des secteurs d’activités à ce tout-puissant Capital. Une soumission à une puissance qui dicte comme jamais la planète à ses diktats. Ces considérations se poursuivront dans le but toujours avoué de dénoncer le mensonge, la duperie et l’irresponsabilité, l’emprise qu’il exerce sur toutes les sphères de la vie et à laquelle les populations sont soumises corps et âme. En fait, y a-t-il un domaine qui ne soit récupéré par le Capital et ses détenteurs?
Femme de terrain, j’en aurai parcouru du chemin. Je vous propose ces constats et alternatives où vous vous sentirez à coup sûr, et à plus d’un égard, vivement interpellés.
Manon des Ruisseaux
Auteure du livre LES DIKTATS DU LIBRE MARCHÉ, Louise Courteau éditrice, juin 2006
Pour en savoir plus sur l’auteure, nous vous invitons à visiter sa fiche sur Alchymed.