La puissance d’exister
C’est là qu’il bâtit, par réaction, sa métaphysique hédoniste. Et là, sans doute, que s’amorcera son grand règlement de compte avec le platonisme et le christianisme.
Extrait du livre :Comment pour ma mère exister sereinement avec en elle une plaie de laquelle un sang coule depuis le portail de l’église ? Pour guérir, il faut d’abord un diagnostic auquel consentir. Je vis certainement trop dans quelles impasses ma mère se fourvoyait en usant de son énergie sans discernement – tel un animal furieux dans sa cage qui se jette la tête la première contre les barreaux, perpétuellement en sang, déchiré par ses soins et rendu plus fou encore par le constat que son autodestruction n’abolit pas sa captivité. Bien au contraire : la prison rétrécit, le carnage continue, le sang appelle le sang.
A huit ou neuf ans, je savais trop de choses. Ma mère l’ignorait peut-être ; mais pas son inconscient. L’enfant taciturne et renfermé ne récriminait pas, ne se plaignait pas, ne manifestait pas plus d’espièglerie qu’un petit garçon de cet âge. Je voyais, je sentais, je supputais, je surpris ici ou là, j’appris telle ou telle chose – dans un village, la haine des adultes n’épargne pas les enfants au contraire… J’ai découvert des secrets, bien sûr, mais a-t-elle jamais su que je les avais décelés ? Je ne sais.
Toujours est-il que cette femme qui enfant fut frappée frappa son enfant, compulsivement, avec tout ce qui lui tombait sous la main. Pain, couverts, objets divers, n’importe quoi…A l’époque, sans que je me souvienne de bêtises ou de fautes remarquables, elle me menaçait de la maison de correction, des enfants de troupe, ou de l’orphelinat… Litanies cent fois débitées ! Etre au monde comme un reproche vivant de l’incapacité pour sa mère à passer de l’autre côté du miroir social à cause de sa famille ne justifie pas une mère à se débarrasser de son enfant… Je me souviens également qu’elle me prédisait une fin sur l’échafaud !
Mot de l’éditeur
Après avoir écrit une trentaine de livres publiés en une vingtaine de langues et donné des conférences au Japon, au Brésil, aux Etats-Unis, en Argentine, en Inde, en Haïti, en Australie, au Mali, en Mauritanie, au Canada, au Maroc, sans parler d’une dizaine de pays d’Europe, Michel Onfray n’avait jamais été invité à Paris pour présenter son travail avant 2005 – soit seize années après la parution de son premier livre. C’est à l’invitation de la Bibliothèque Nationale de France qu’il a donné en trois conférences une synthèse de sa proposition philosophique hédoniste qui contient une historiographie, une éthique, une esthétique, une bioéthique, une érotique, une politique. Ce travail a généré un texte repris, développé et augmenté.
Il s’agit donc ici d’une véritable synthèse du chantier philosophique que l’auteur de La sculpture de soi s’est choisi à l’ombre de Nietzsche et des penseurs libertins ou matérialistes. Introduction magistrale à son ouvre, cette Puissance d’exister s’ouvre de surcroit sur un texte majeur, d’une cinquantaine de pages, dans lequel l’auteur revient, sur un mode courageusement autobiographique, sur l’épisode fondateur de sa « vision du monde » – à savoir son séjour, au début de l’adolescence, dans un pensionnat dirigé par des prêtres salésiens. C’est là qu’il bâtit, par réaction, sa métaphysique hédoniste. Et là, sans doute, que s’amorça son grand règlement de compte avec le platonisme et le christianisme.
Éditions Grasset