Minorité visible !!!
Nous y avions fait halte pour acheter quelques fruits. La foule était grouillante et compacte, toute faite d’êtres humains bien vivants et bien bruyants. J’ai commencé à m’y déplacer, tentant, à certains moments, de retenir un peu ma respiration. Les égouts à ciel ouvert nous renvoyaient si fortement leur odeur fétide !
Soudain, au coin d’une rue, une jeune femme aux cheveux courts et vêtue d’un éclatant sari bleu ciel attira particulièrement mon attention. Sur sa hanche gauche, elle tenait son bébé bien accroché et essayait d’attirer l’attention d’un éventuel acheteur pour sa chevelure coupée qu’elle tendait à bout de bras. C’était une longue tresse d’un noir de jais qu’elle balançait nonchalamment au bout d’un ruban. Je ne sais pas pourquoi mais je me suis approchée d’elle… Sans attendre, la jeune femme me répondit par un grand sourire invitant.
Mais voilà… en un instant et comme surgissant de nulle part, des dizaines de curieux se sont rassemblés autour de nous. Pour eux, je constituais soudain l’ « attraction » que l’on commente en riant, l’ « exotique » que l’on examine avec curiosité.
Parmi tous ces Indiens aux cheveux noirs et à la peau foncée, la femme blonde et à la peau blanche que je suis prenait l’allure d’un véritable phénomène ! Quelques enfants se sont rapprochés de moi, touchant timidement mon bras trop pâle, leurs yeux exprimant un étonnement manifeste devant le prodige que je constituais. Dans cette région reculée, certains de ces petits n’avaient sans doute que rarement vu, et peut-être jamais vraiment approché de « blanc » en chair et en os.
Quand je me suis penchée sur le bébé de la jeune femme, celui-ci m’a d’abord regardée avec stupeur puis, après un moment d’hésitation, il s’est mis à hurler. Je l’avais effrayé ! Moi ! Eh oui ! Exactement de la même façon que les bébés blancs pleurent souvent en voyant un visage noir pour la première fois.
Cela m’a fait une étrange impression, je l’avoue… Moi qui d’ordinaire attire facilement les grâces et les sourires des bébés… J’étais devenue une inquiétante MINORITÉ VISIBLE !
Si j’ai eu envie de vous raconter cette anecdote, c’est pour partager avec vous ce sentiment qui m’a alors envahie. Celui de représenter un peu de cette partie trop privilégiée de notre Terre, une portion de ce pourcentage presque infinitésimal qui se prend systématiquement comme centre du monde et comme référence absolue !
L’Inde, entre autres, est un véritable continent d’UN MILLIARD d’habitants. Comment dire mieux ? Un terrien sur six est indien ! L’avions-nous réalisé ? Et quelle place occupe son pays sur la scène internationale ? Une bien petite place, en effet.
Je ne sais pas si la jeune maman a pu trouver un acheteur pour ses cheveux ni si son bébé survivra à la pauvreté extrême qui sévit là-bas, à la pollution qui dépasse tout entendement et au manque d’eau accentué par trois années de suite sans véritable mousson. Non, je ne le sais pas… et je n’ai pas envie de faire d’autre commentaire.
Évidemment, il faut éviter les clubs de vacances tout-compris et les autobus climatisés pour découvrir un peu mieux notre monde. Car il est grand, ce monde… Il est complexe, déroutant, fabuleux, riche de toutes ses nuances et surtout… il finit par nous dire que nous n’en sommes définitivement pas la référence !